David Fincher était incontournable ce week-end à Paris. Alors que s’est ouverte vendredi 13 la rétrospective de la Cinémathèque française dédiée à sa filmographie avec une avant-première de The Killer (visible le 10 novembre sur Netflix) et que ce même film fut projeté samedi soir en présence du cinéaste au Christine Cinéma Club, une Leçon de cinéma fut aussi donnée par le réalisateur samedi après-midi à la Cinémathèque après une projection de Zodiac.
Animée par le directeur général du lieu Frédéric Bonnaud et traduite par Anaïs Duchet, la discussion a porté dans les premières minutes sur ce brillant thriller sorti en 2007 qui raconte sur plus de vingt ans la labyrinthique traque du tueur qui effraya la région de San Francisco à partir de l’été 1969.
SOUVENIRS CALIFORNIENS
L’action de Zodiac se situant précisément à l’époque où David Fincher était enfant (il est né en 1962), ses réponses se firent d’emblée personnelles : « J’ai grandi dans la baie de San Francisco et 1969 est vraiment le moment où mes souvenirs ont commencé. Avec mes camarades d’école, le Zodiac était notre épouvantail. Quand j’ai déménagé à l’âge de 14 ans, j’ai dit adieu à San Francisco en regardant derrière moi la ville et en me demandant si l’affaire du Zodiac avait été résolue. Le film était donc un retour dans mes souvenirs d’enfance et je savais exactement à quoi ressemblait cet environnement. Je savais par exemple ce qu’était la rédaction d’un journal car mon père travaillait pour le magazine Life. »
Zodiac
L’occasion également pour le cinéaste d’évoquer son travail avec le chef opérateur Harris Savides, décédé en 2012, qui éclaira majestueusement The Yards de James Gray, Gerry et Elephant de Gus Van Sant ou Birth de Jonathan Glazer. « C’est une des personnes les plus talentueuses que j’ai rencontrées. Zodiac était le premier film qu’on tournait en numérique et il n’aimait pas tellement l’idée de servir de cobaye à cette nouvelle technologie. Mais il a su recréer la période notamment à travers la couleur jaune. »
Considéré aujourd’hui par la critique comme un cinéaste théorique qui manie les mises en abyme, David Fincher a défendu une approche plus biographique. Interrogé sur le fait qu’il soit un enfant du Nouvel Hollywood (le mouvement cinématographique qui a vu l’émergence dans les années 1970 d’un cinéma américain libre et engagé), le réalisateur de Seven et Gone Girl a ainsi répondu de façon géographique. « Dans les années 60 et 70, le Nouvel Hollywood était abstrait pour moi, mais ce que j’ai vu de concret étaient les films fabriqués au nord de la Californie. Une ribambelle de cinéastes influents comme Francis Ford Coppola, George Lucas ou Philip Kaufman tournaient dans la région. Quand j’étais à l’école primaire, une rue près de chez moi a été fermée pour le tournage du Parrain et plus tard pour L’Invasion des profanateurs. Et American Graffiti fut tourné devant ma maison. Faire du cinéma ne m’a donc jamais semblé inaccessible et, plus que le Nouvel Hollywood, ce qui m’a marqué est le cinéma fait dans le comté de Marin. Le Marin Hollywood. »
SOUFFRANCE ET FRUSTRATION
Abordant ensuite son goût des adaptations littéraires, David Fincher a évoqué la dimension intime, bien davantage qu’opportuniste, qui fait naître le désir d’un film chez lui. Comme ce fut le cas pour Millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes. « Kathleen Kennedy m’a parlé du livre comme d’une histoire avec des motos, des lesbiennes et des hackers à Stockholm. Mais cela faisait neuf ans à l’époque que j’essayais de faire Benjamin Button et j’ai dans un premier temps laissé filer le projet. Quand le producteur Scott Rudin est revenu vers moi, ce qui m’a le plus intéressé était la relation entre Mikael Blomkvist [Daniel Craig, ndlr] et Lisbeth Salander [Rooney Mara, ndlr].J’ai aimé qu’il y ait un déséquilibre à la fois sexuel et générationnel entre ces deux personnages mais qu’à l’intérieur de cela ce duo trouve une façon d’être bons amis, associés et partenaires. »
Après avoir confié que la lecture du roman Fight Club de Chuck Palahniuk l’avait beaucoup fait rire et qu’il avait apprécié que le narrateur se révèle à lui-même une vérité sinistre illuminée de manière unique, le cinéaste a révélé à quel point The Social Network, film écrit par Aaron Sorkin et racontant la création houleuse de Facebook, l’avait touché à un endroit personnel. « Ce qui m’a parlé est ce portrait d’une jeune entreprise où des gens de 25 ans veulent s’exprimer et doivent trouver un moyen de communiquer sur la direction dans laquelle ils veulent aller. »
The Social Network
Une probable allusion à la société Propaganda Films, créée dans les années 1980 par David Fincher et d’autres jeunes réalisateurs. Voire aux divers projets de films abandonnés qui ont jonché la carrière du cinéaste. « Je sais ce qu’est un groupe de jeunes hommes qui démarrent une aventure où ils sont au départ tous égaux avant que certains croissent tandis que d’autres s’atrophient. C’est difficile au fur et à mesure qu’un projet se développe de voir qu’il peut partir dans une direction qui va vous en écarter. Je connais la frustration générée quand un groupe se retrouve dans une situation où il y a de l’argent à se faire et où des influences extérieures vont inévitablement se faire jour. Je pouvais m’identifier à cette dynamique et à la grande souffrance qu’elle entraîne. »
Sous contrat exclusif avec Netflix depuis plusieurs années, David Fincher a également évoqué The Killer, adaptation d’un BD française où il met en scène Michael Fassbender et Tilda Swinton : « Le roman graphique est très riche : il y a un discours géopolitique et socio-économique dans le monologue intérieur du personnage et on se demande si ce qu’on intercepte de ses pensées est la vérité ou juste des choses qu’il se dit à lui-même pour se donner bonne conscience. »
The Killer
Continuant à se confier, le réalisateur a reconnu quelques regrets concernant The Game. « Je voyais ce film comme un épisode de La Quatrième Dimension [The Twilight Zone en anglais, ndlr] où une horreur abstraite est vécue par le personnage et où une explication simple à la fin nous dit qu’il s’agissait d’un film dont le spectateur est lui-même le héros et a payé pour ça. Par contre, le héros n’aurait probablement pas dû tomber d’un immeuble aussi haut à la fin. Disons qu’on apprend aussi de ses erreurs. »
« UNE OPÉRATION MILITAIRE EXECUTÉE PAR DES ENFANTS PRÉCOCES »
Souvent présenté comme un cinéaste du contrôle absolu, Fincher a contesté cette vision à la fin de la masterclass. « C’est un mythe de penser qu’il puisse exister un cinéaste assez puissant ou disponible pour exprimer des choses qui vont pousser 90 personnes sur un plateau à faire exactement ce qu’il veut. On ne contrôle rien : on a certes un plan car ce ne serait pas prudent de ne pas en avoir, mais on peut juste espérer que 80% de ce qu’on a demandé va se passer comme prévu. Sur un tournage, on est essentiellement en train d’éviter la catastrophe. Le cinéma a beau essayer de faire semblant qu’il est, comme la NASA, de la haute technologie très précise, tout est beaucoup plus artisanal. Le cinéma c’est comme une opération militaire exécutée par des enfants précoces. » Un constat modeste qui jette une nouvelle lumière sur l’œuvre de David Fincher, réalisateur s’étant avoué à Paris en apprentissage permanent et dont la filmographie est à redécouvrir jusqu’à dimanche sur les écrans de la Cinémathèque.
Rétrospective David Fincher, jusqu’au 22 octobre à la Cinémathèque française