« I feel the need, the need for speed. » Cette réplique de Top Gun – dont la suite sera projetée hors Compétition – devrait être le motto du 75 Festival de Cannes. La crise du Covid-19 ayant bien ralenti l’industrie, on attend un coup de boost. Les habitués sont là pour dessiner la trajectoire (quatre cinéastes déjà palmés d’or sont en Compétition, dont le jury est présidé par Vincent Lindon), et plein de novices se lancent sur la piste (toutes sélections confondues, on attend plus de trente premiers films).
À quelques jours du début du Festival, on a repéré les vingt films qui devraient mener la course. On est aussi allés à la rencontre de quelques figures majeures de cette 75 édition pour évoquer le présent et l’avenir du cinéma : le président Pierre Lescure (pour sa dernière), la nouvelle déléguée générale de la Semaine de la critique, Ava Cahen (pour sa première), et les cinéastes Michel Hazanavicius et David Cronenberg. De quoi décoller.
STARS AT NOON de Claire Denis en Sélection officielle – Compétition
Stars at Noon (c) 2022 Curiosa
Après un passage à la Berlinale en février dernier – pour son beau et intimiste Avec amour et acharnement, reparti avec l’Ours d’argent de la meilleure réalisation –, Queen Denis revient déjà avec cette production américaine ultra attendue, inspirée par un livre de Denis Johnson publié en 1986. Margaret Qualley, Joe Alwyn et Danny Ramirez sont les héros de cette histoire torride entre un Britannique et une Américaine, située en pleine révolution nicaraguayenne en 1984, dans un tourbillon de sentiments et de complots politiques. Notons que, de tous les films de la réalisatrice, seul Chocolat a été sélectionné en Compétition officielle à Cannes – c’était en 1988. Une injustice qu’on est heureux de voir réparée.
« Avec amour et acharnement » de Claire Denis
Les Harkis de Philippe Faucon à la Quinzaine des réalisateurs
Les Harkis (c) Pyramide Distribution
Avec son trait fin et épuré, Philippe Faucon s’est imposé comme l’un des plus grands portraitistes de femmes animées par leur volonté de s’affirmer (Muriel fait le désespoir de ses parents, 1995 ; Samia, 2000 ; Fatima, César du meilleur film français en 2016). C’est cette fois le point de vue de jeunes hommes qui guide l’histoire de ce nouveau film, qui promet de creuser avec subtilité les répercussions de la guerre d’Algérie sur la vie des harkis, ces Algériens qui avaient rejoint l’armée française. Ce film a lieu au moment où la France se retire et où un lieutenant se bat pour ramener ses hommes en France. Un sujet encore trop peu traité au cinéma – on est sûrs que Philippe Faucon y insufflera toute sa subtilité.
« Amin » : Philippe Faucon ou l’art du portrait
Decision to Leave de Park Chan-wook en Sélection officielle – Compétition
Decision to Leave (c) CJ Entertainment
Après le gigantesque Mademoiselle (2016), dans lequel il mettait admirablement en scène la relation ambivalente, aussi toxique que sensuelle, entre une servante et sa maîtresse dans le Japon des années 1930, le Sud-Coréen Park Chan-wook devrait présenter un projet tout aussi sombre, érotique, chabrolien. En pleine montagne, on y suit un policier attiré par la veuve d’un défunt dont la mort lui semble suspecte, tant et si bien qu’il finit par la soupçonner. Le cinéaste, orfèvre de l’image, a déjà été présent en Compétition trois fois : avec Mademoiselle, donc, mais aussi Old Boy (Grand Prix en 2004), et enfin avec Thirst. Ceci est mon sang (Prix du jury en 2009).
Armageddon Time de James Gray en Sélection officielle – Compétition
Dans les eighties, un ado étudie dans un lycée du Queens, à New York, au conseil d’administration duquel siège le promoteur immobilier Fred Trump (« père de », oui, oui)… Inspirée des souvenirs d’enfance du réalisateur, cette fresque autobiographique (et certainement politique, vu la présence fantomatique de l’ex-président des États-Unis) au casting de luxe (Cate Blanchett, Robert De Niro, Oscar Isaac, Anne Hathaway et Anthony Hopkins) pourrait enfin permettre à James Gray de décrocher un prix à Cannes. Cité quatre fois en Compétition (la dernière fois pour The Immigrant en 2013), il est toujours reparti bredouille. On réclame réparation.
James Gray dévoile les influences de « Armageddon Time »
Trois mille ans à t’attendre de George Miller en Sélection officielle – hors Compétition
Image (c) FilmNation Entertainment
Sept ans après sa sortie, on n’est toujours pas remis du délirant (et cruellement visionnaire) . George Miller revient avec Trois mille ans à t’attendre, un conte au pitch qui fait saliver : Alithea, une femme satisfaite par sa vie mais sceptique sur le monde, rencontre un génie qui lui offre trois vœux. Sceptique aussi devant cette proposition qu’elle sent malhonnête, Alithea hésite. Le génie lui raconte alors son passé extraordinaire, ce qui la convainc. « Elle finit par formuler un vœu des plus surprenants. » Ajoutons que Tilda Swinton joue l’héroïne et Idris Elba le génie, et la magie opère déjà.
Une première image énigmatique pour « Trois mille ans à t’attendre » de George Miller
Les Cinq Diables de Léa Mysius à la Quinzaine des réalisateurs
Les Cinq Diables (c) F Comme Film – Trois Brigands Productions
Après le succès d’Ava – portrait solaire d’une ado frondeuse découvrant les plaisirs charnels tout en perdant progressivement la vue –, Léa Mysius embarque Adèle Exarchopoulos pour ce deuxième long métrage qui interrogera la maternité et ses ambivalences. Vicky, petite fille au caractère sauvage, a le don de pouvoir reproduire toutes les odeurs qu’elle rencontre dans des bocaux qu’elle classe. Elle vole l’odeur de sa mère, à qui elle voue une fascination intense et déroutante. Au casting également : Daphné Patakia et la chanteuse Swala Emati. Rappelons que Léa Mysius a par ailleurs coécrit les scénarios de plusieurs films présentés à Cannes, notamment Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin et Les Olympiades de Jacques Audiard.
R.M.N. de Cristian Mungiu en Sélection officielle – Compétition
R.M.N (c) Le Pacte
On s’enthousiasme toujours à l’idée d’un nouveau film de Cristian Mungiu. On ne peut pas dire que le cinéma du Roumain, palmé pour son sidérant 4 mois, 3 semaines et 2 jours en 2007, baigne dans la joie et l’allégresse (on est sur des thèmes comme l’avortement clandestin, les monastères isolés aux pratiques sectaires dans Au-delà des collines ou la corruption des institutions en Roumanie dans Baccalauréat), mais ses films nous font systématiquement un effet bœuf. R.M.N., son nouveau cru, semble reprendre certains motifs d’Au-delà des collines : un homme revient dans son village de Transylvanie après avoir quitté son emploi en Allemagne, et retrouve ses proches transformés.
Cristian Mungiu, l’enfer du père
Goutte d’or de Clément Cogitore à la Semaine de la critique
Goutte d’or (c) 2021/Laurent LE CRABE/Kazak Productions
Voilà un jeune prodige du cinéma français dont l’œuvre expérimentale, à la croisée du cinéma et de l’art contemporain, nous exalte chaque fois. Son premier long métrage, Ni le ciel ni la terre, avait été présenté en Compétition à la Semaine de la critique en 2015 et récompensé par le Prix à la diffusion de la Fondation Gan pour le cinéma. Le revoilà dans cette même sélection, en Séance spéciale. On y suit Ramsès, 35 ans, voyant un peu roublard un peu poète, qui exerce dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Paris. Avec cette nouvelle fiction aux accents du documentaire, à la lisière du fantastique et portée par le génial Karim Leklou (Le monde est à toi), le cinéaste risque de faire mouche.
Expo : « Project Room » de Clément Cogitore
Retour à Séoul de Davy Chou en Sélection officielle – Un certain regard
Retour à Séoul (c) Films du Losange
Après quelques années d’absence (il avait présenté Diamond Island à la Semaine de la critique en 2016) qui ont paru une éternité, le cinéaste et producteur franco-cambodgien Davy Chou revient nous faire rêver avec son Retour à Séoul. L’histoire de Freddie qui, à 25 ans et sur un coup de tête, part en quête de ses origines en Corée du Sud, où elle est née mais dont elle ne connaît rien. Cette tribulation généalogique est au cœur du travail de Chou, qui s’est questionné sur son propre héritage familial dans plusieurs films d’une beauté sidérante, à cheval entre docu et fiction. Nuit phosphorescente, regard dans le vague, flou envoûtant… La première image de son film semble poursuivre cette veine scintillante.
Un petit frère de Léonor Serraille en Sélection officielle – Compétition
Un petit frère (c) Diaphana Distribution
En 2017, Leonor Serraille avait remporté la Caméra d’or à Cannes pour le jouissif Jeune femme, un premier long sur les tribulations d’une jeune trentenaire borderline campée par une éclatante. Comme pour se tracer un chemin un peu moins zigzagant que celui de son héroïne électrique, Léonor Serraille a choisi de prendre son temps pour préparer cette histoire d’une famille déroulée sur trente ans, celle d’une femme arrivant d’Afrique de l’Ouest pour s’installer en banlieue parisienne avec ses deux fils, qu’on verra grandir. Pour porter ce récit-fleuve, la réalisatrice a choisi Annabelle Lengronne (Mercuriales ou Filles de joie), Stéphane Bak (Roads ou L’Adieu à la nuit), l’humoriste Ahmed Sylla et Kenzo Sambin.
« Jeune femme » de Leonor Serraille
Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi en Sélection officielle – Compétition
Les Amandiers (c) Ad Vitam
Elle avait plié le game l’année dernière en interprétant avec un sens irrésistible du burlesque une bourgeoise quittée par sa compagne (Marina Foïs) dans La Fracture de Catherine Corsini. Valeria Bruni Tedeschi revient, cette fois derrière la caméra, pour cette fiction qui s’annonce, comme beaucoup de ses films, assez autobiographique. Dans cette fresque située à la fin des années 1980, de jeunes acteurs passent le concours d’entrée de l’école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans. Dans cette émulation créative, on retrouvera Louis Garrel (dans la peau de Patrice Chéreau), Micha Lescot et la révélation Nadia Tereszkiewicz (Babysitter de Monia Chokri), dont c’est décidément l’année.
« Les Estivants » de Valeria Bruni Tedeschi : canicule intime
De humani corporis fabrica de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor à la Quinzaine des réalisateurs
De humani corporis fabrica (c) Les Films du Losange
On avait laissé le duo de cinéastes anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sur leur documentaire bien perturbant Caniba (2018), dans lequel ils interviewaient un assassin cannibale. Les revoilà avec une expérience tout aussi intense : un pendant cinématographique de De humani corporis fabrica, la première encyclopédie anatomique d’André Vésale parue en 1543. Ayant traîné dans de multiples services hospitaliers, ils ont conçu leur film à partir des techniques contemporaines de visualisation de l’intérieur du corps humain. S’ils font comme dans leur documentaire Leviathan (2013), où ils s’immisçaient dans les arcanes d’un bateau en pleine tempête, ils donneront sûrement à ces images une grande force de fascination et d’abstraction.
Plus que jamais d’Emily Atef en Sélection officielle – Un certain regard
Plus que jamais (c) Jour2fête
Le regretté Gaspard Ulliel, disparu en janvier dernier, fait sa dernière apparition dans ce drame qui sera certainement l’un des plus émouvants du Festival de Cannes – et de l’année. D’autant qu’il est signé par la Germano-Franco-Iranienne Emily Atef, réalisatrice de 3 jours à Quiberon (2018), une fiction qui revenait sur les dessous de la dernière interview de Romy Schneider – autre magnifique comète du cinéma français. Plus que jamais raconte l’histoire d’un couple amoureux et uni depuis des années. Un jour, Hélène (Vicky Krieps) se retrouve « confrontée à une décision existentielle » qui la pousse à partir seule en Norvège, ce qui met à l’épreuve son couple…
Showing Up de Kelly Reichardt en Sélection officielle – Compétition
Showing Up (c) Allyson Riggs/A24
À peine remis de , bouleversante fable humaniste aux airs de western, on guette de près le nouveau projet de la cinéaste américaine, trop peu présente à Cannes – la dernière fois, c’était pour Wendy et Lucy, sélectionné à Un certain regard en 2008. Pour ce nouveau portrait féminin, que l’on prédit gracieux et nuancé, où elle raconte la vie d’une artiste juste avant le vernissage de son exposition, la réalisatrice retrouve son actrice chérie, Michelle Williams (qui avait joué pour elle dans Wendy et Lucy, La Dernière piste et Certaines femmes). Dans une réflexion qu’on imagine très autobiographique, Reichardt explore les multiples chemins qui mènent à l’inspiration.
Kelly Reichardt : « On est passé d’un monde de canoës à un monde de porte-conteneurs »
Broker de Hirokazu Kore-eda en Sélection officielle – Compétition
Dans le sublime Une affaire de famille, Palme d’or en 2018, le cinéaste japonais chroniquait le quotidien d’une famille de petits bandits, bientôt rejointe par une fillette maltraitée et délaissée qu’ils intègrent tendrement à leur tribu. Hirokazu Kore-eda devrait encore une fois transgresser les codes et nous embarquer totalement dans cette nouvelle variation sur la famille – cette fois dans le registre de la science-fiction : les parents qui souhaitent abandonner leur bébé peuvent les déposer dans des boîtes mises à leur disposition. La sortie française est annoncée pour le 7 décembre.
Le Parfum vert de Nicolas Pariser à la Quinzaine des réalisateurs
Le Parfum vert (c) Diaphana Distribution
Remarqué en 2019 avec Alice et le maire, brillante comédie politique aux dialogues ciselés, Nicolas Pariser, qu’on a beaucoup comparé à Éric Rohmer, pourrait de nouveau créer la surprise avec cette comédie d’espionnage. Vincent Lacoste y incarne un acteur de la Comédie-Française soupçonné d’avoir empoisonné l’un de ses partenaires. S’ensuit alors une cavale dans toute l’Europe aux côtés d’une dessinatrice de bandes dessinées (Sandrine Kiberlain) qui l’aide à enquêter sur cette mystérieuse affaire. On s’attend donc à une ambiance de faux-semblants et une intrigue noire et espiègle à la Claude Chabrol, autre influence majeure du cinéaste.
MICROSCOPE — La main et l’épaule dans « Alice et le Maire » de Nicolas Pariser
Tourment sur les îles d’Albert Serra en Sélection officielle – Compétition
Tourments sur les îles (c) Les Films du Losange
En interview pour Le Monde en novembre 2021, Benoît Magimel teasait sa collaboration avec le Catalan fantasque et provocateur Albert Serra : « Un mec sympa et étrange, qui change sans cesse le scénario, ne regarde jamais le plateau, écoute juste. Très théâtre expérimental des années 1970. » À peine auréolé du César du meilleur acteur pour De son vivant, voilà que le comédien s’embarque pour cette aventure inattendue à Tahiti, où il incarne un haut-commissaire dans un contexte de reprise des essais nucléaires. Connaissant le goût de Serra pour proposer des expériences limites à ses acteurs (on se souvient de Jean-Pierre Léaud agonisant dans La Mort de Louis XIV), on se demande bien quel « tourment » touchera Magimel.
Fumer fait tousser de Quentin Dupieux en Sélection officielle – Séance de minuit
À quoi carbure l’hyperactif Quentin Dupieux, dont Incroyable mais vrai, avec Léa Drucker et Alain Chabat, n’est pas encore arrivé sur nos écrans (il sort le 15 juin) qu’on nous annonce déjà un nouveau film ? Il se pourrait bien que ce soit à la clope, si on en juge par le nom de la team de ses nouveaux héros : Tabac Force. Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Jean-Pascal Zadi, Anaïs Demoustier et Oulaya Amamra composent cette équipée de justiciers à la Power Rangers, sûrement accros à la nicotine. On les suit après leur victoire contre une tortue démoniaque, alors que leur unité bat de l’aile. Mais une sombre menace va les remobiliser… Les Avengers version Dupieux, remède contre la léthargie du film de super-héros ?
Quentin Dupieux : « J’avais envie de faire un film vraiment con »
Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux à la Semaine de la critique
Tout le monde aime Jeanne (c) Les Films du Worso – O som e a furia
On trépigne comme ses personnages un peu pile électrique pour le premier long métrage de Céline Devaux, dont on adore les courts enlevés et mélancoliques, Le Repas dominical (césarisé en 2016) et Gros Chagrin (primé à la Mostra de Venise en 2017). Diplômée des Arts-Déco de Paris, elle mêle souvent prises de vue réelles et animation bien trempée. Ce long métrage porte sur une femme que tout le monde aime, mais qui se déteste. « Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. À l’aéroport elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant. » Avec et Laurent Lafitte au casting, on dit oui.
« Gros chagrin », mélodie désaccordée
Triangle of Sadness de Ruben Östlund en Sélection officielle – Compétition
Triangle of Sadness (c) Plattform-Produktion
Après le carré (en anglais, « the square », titre de son film qui a remporté la Palme d’or en 2017), le triangle de la tristesse. Le Suédois Ruben Östlund revient avec ce nouveau film notamment porté par Woody Harrelson. On devine que le réalisateur grattera le vernis d’un milieu qui fait primer l’image, la superficialité, l’entre-soi : après l’art contemporain donc, celui du mannequinat. On y suit des top-modèles et des influenceurs en pleine croisière, alors qu’une tempête se lève. De quoi bien secouer Cannes – n’oublions pas que, la dernière fois que cet univers d’apparence s’est invité en Compétition, c’était pour The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, un film d’horreur.
« The Square » de Ruben Östlund
Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 17 au 28 mai 2022.