À écouter : la gifle au cinéma analysée par Laurent Delmas

Le présentateur de « Ciné qui chante » explique l’origine de ce motif récurrent (et discutable) sur nos écrans


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Auparavant présentateur de Ciné qui chante sur France Inter, émission qui proposait de revisiter le 7e art en chansons en compagnie d’un invité, Laurent Delmas analyse aujourd’hui un motif de circonstance qui a agité l’actualité politique : la gifle.

Anecdotique, banale, la gifle revêt au cinéma un potentiel dramaturgique de taille – presque autant que dans l’arène médiatique. On pense aux fessées données à un garnement dans L’Arroseur arrosé des frères Lumières (1895), aux dérouillées infligées par Jake LaMotta à ses adversaires sur le ring dans Raging Bull (1980) ou encore à la violence des camouflets dans Fight Club (1999) qui disent l’anarchie du monde des personnages.

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Mais c’est La Gifle de Claude Pinoteau (1974) que Laurent Delmas a choisi pour illustrer la charge symbolique de ce geste à l’écran et ses implications sociales, historiques, générationnelles. Petit flash-back. Dans ce célèbre film franco-italien, Isabelle Adjani, dans son premier grand rôle, interprète une étudiante en médecine rebelle, en conflit avec son père (Lino Ventura) dont elle veut s’émanciper pour vivre avec son petit ami.

Dans une scène qui monte crescendo, le duo père-fille se déchire d’abord verbalement (« Tu travailles mal, tu danses mal, tu grandis mal, mais tu ne me fais pas peur Isabelle » , assène Lino Ventura en furie, ce à quoi Isabelle Adjani répond par un simple cri strident que les voisins ont dû entendre), s’évite puis se confronte dans les méandres des couloirs de l’appartement. Jusqu’à ce que la confrontation s’achève dans un climax silencieux, brisé par le claquement du soufflet qui résonne.

Première chose que nous dit cette gifle, ingénieusement mise en scène mais largement contestable : les moeurs ont changé, et c’est tant mieux. « C’est une façon beaucoup plus sûre que le Carbone 14 pour dater un film, car la gifle est désormais formellement interdite dans les relations parents-enfants » fait remarquer Laurent Delmas.

Un remake contemporain du film aurait sans doute viré au procès judiciaire : « De nos jours, Isabelle aurait traîné son Lino de père devant les tribunaux » . Rappelons d’ailleurs qu’à l’époque, Isabelle Adjani a reçu une véritable gifle de le part de l’ancien catcheur, en une seule prise, comme le témoigne cette archive de l’INA.

Comment expliquer ce déferlement de beignes à l’écran? avait la réponse. Dans son ouvrage Les Films de ma vie (1975), le cinéaste explique que Claude Sautet, que l’on appelait souvent à la rescousse quand un scénario était en panne, proposait souvent la gifle pour remédier à la platitude de l’action. « Une désolante spécialité masculine ? » se demande Laurent Delmas, attentif à la misogynie de ce trope. Nuançons en disant qu’il y a des exceptions. Souvenons-nous de Sophie Marceau giflant James Bond dans Le Monde ne suffit pas (1999), ou encore de Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent (1939).

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