Alors que le premier (Rien sauf l’été), éthéré et envoûtant, nous invite à découvrir, à travers les yeux d’un jeune client, une famille marginale transformant son vieux château en auberge Airbnb, le second (Le Film de l’été), plus nerveux, nous emporte dans un roadtrip avec un personnage principal attachant, retrouvant, dans la complicité qu’il partage avec le fils d’un ami, son âme d’enfant. Rencontre avec deux réalisateurs qui ont su cueillir le caractère tour à tour léger, flottant, mélancolique et parfois cruel de la plus belle des saisons.
Comment l’idée est venue de coupler vos deux films dans un programme commun ?
Emmanuel Marre : Au Festival du moyen métrage de Brive, Claude a eu le Grand Prix Europe pour Rien sauf l’été et, moi, j’ai eu une mention spéciale pour Le Film de l’été. Karine Durance, l’attachée de presse de l’événement, était super enthousiaste et nous a glissé l’idée qu’il faudrait mettre les deux films ensemble. Ça a germé depuis….
Claude Schmitz : On se connaissait un tout petit peu avant, on fréquentait les mêmes gens à Bruxelles, mais là on a été mariés de force !
Au-delà de l’été, quelles correspondances voyez-vous entre vos films ?
C.S. J’avais aimé Le Film de l’été tout seul, mais je me demandais ce que ça donnerait avec le mien. J’ai revu ton film hier et je trouve qu’il y a pas mal d’échos finalement. Au-delà de la saison et du format 4/3, il y a par exemple beaucoup d’oiseaux en fond sonore. On filme aussi beaucoup les activités de l’été : on joue à la carabine, on fait du kart… Et puis, il y a des personnages en souffrance. Même si dans mon film, c’est physique alors que dans le tien c’est plus mental.
E.M. Récemment, quelqu’un qui avait vu tout le programme m’a fait une drôle d’analyse : pour lui, Thomas de Rien sauf l’été, ça pourrait être Jean-Benoît du Film de l’été, mais vingt ans après.
Rien sauf l’été de Claude Schmitz
Vous diriez que c’est l’été le point de départ de vos films ? Que c’est à partir de cette saison que vous avez développé vos personnages, vos histoires ?
E.M. Dans mon cas, pas tellement. Il y a eu une envie très forte de faire un film, comme une bouffée de chaleur, et il se trouve que ça s’est passé pendant l’été. On a eu deux semaines pour le réaliser, donc c’était un tournage assez précipité. Bizarrement, pendant le tournage, des souvenirs d’enfance liés à cette saison sont remontés et se sont greffés. Un sentiment de déprime, de mélancolie… Celle que tu as chez Décathlon quand tu achètes des chaussures de rando mais que tu viens de te faire larguer.
Et pour toi Claude, il y a aussi cette part autobiographique dans Rien sauf l’été ?
C.S. Pas vraiment. En fait, je n’avais pas écrit de scénario. Après, c’est vrai que quand tu te mets à tourner des scènes où il ne se passe pas grand-chose, les acteurs proposent vite des situations qui leur évoquent des souvenirs.
Comme décors, vous avez choisi des lieux de passage : un château de famille dans Rien sauf l’été, l’aire d’autoroute dans Le Film de l’été. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces espaces de transit ?
E.M. Je me questionne pas mal sur l’intimité dans des lieux complètement impersonnels. Quand je vois les gens dans ce genre d’endroit, j’ai l’impression qu’on a accès à une part plus nue d’eux-mêmes. Je passe des heures à regarder les gens faire leurs courses au supermarché, ils ont l’air d’être en introspection. Après, je suis fasciné par certaines architectures péri-urbaines. D’habitude, dans les films, on voit des aires d’autoroutes joliment vintage, moi celles que je trouve belles ce sont celles qui ont des bâtiments hyper modernes et ressemblent à des champignons.
Le Film de l’été d’Emmanuel Marre
C.S. Quand on tournait, le château, qui ressemble à un jardin d’Eden un peu décati, était en travaux. On lui a donné un côté métaphorique : ça rejoint cette idée de transition, les personnages ne savent pas très bien où aller, ils n’ont pas d’ambition très claire.
Les deux films ont aussi pour point commun de laisser la part belle à l’improvisation…
C.S Est-ce que c’est vraiment de l’improvisation ? Je ne sais pas. J’ai l’impression que, pour mes acteurs, il s’agit plus de jouer leur vécu sur l’instant. On restait dans un état de disponibilité constante, on était attentifs à ce qui se passait autour de nous… Patchouli, qui joue la mère, n’est pas comédien dans la vie mais il joue dans mes spectacles depuis quelques années. Quand on a lancé le projet, je lui ai demandé s’il voulait quand même jouer dedans malgré sa maladie. Comme il était en chimiothérapie, on s’est demandés « qu’est-ce qu’on fait de…ça » ? Le fait qu’il incarne la mère qui est également souffrante, c’était peut-être pour installer une sorte de distance avec sa vraie maladie. C’était présent et on a tenté d’en faire quelque chose qui reste délicat, poétique, et pas voyeuriste.
E.M. Ça peut amener une certaine profondeur de travailler sans plan de travail. Mon truc, c’est d’être sur le qui-vive, je demande aux acteurs d’être toujours prêts à tourner. Ça permet de laisser libre cours à l’inattendu. J’aime beaucoup Jacques Rozier ou Guy Gilles, qui se sont battus pour ce genre de cinéma à la marge. Je travaille beaucoup sur l’épuisement avec les comédiens : tu filmes, tu filmes et, au bout d’un moment, ils ne savent plus où ils en sont. Au montage, finalement, tu gardes 40 secondes d’une séquence de 7 minutes. J’adore cette idée : tu prends un bout de conversation, mais tu sais qu’il s’est dit plein de choses avant. Je suis à la recherche de cette vérité, je veux filmer des sentiments qui sont en train de naître.