Dans une interview à , vous avez qualifié Trap de mélange entre Le Silence des agneaux et un concert de Taylor Swift. Qu’est-ce qui vous amuse dans ce grand écart ?
C’était un peu une provocation, une blague pour donner le ton du film, son mélange improbable. Mais même dit en plaisantant, cela donne une idée des accents discordants, qui ne vont a priori pas ensemble, dans le film. Pourtant, ils y coexistent. Dis comme ça, c’est assez drôle, parce que le sujet de Trap est sérieux, sombre, mais je voulais m’amuser avec ces codes du polar. Le film est très ludique, à l’image du personnage principal, Cooper, qui même s’il fait ces choses horribles, a un esprit enfantin. Il a cette même énergie espiègle que le récit.
Justement, le spectateur ressent de l’empathie envers Cooper, et c’est plutôt problématique…
Oui, mais c’est précisément ce qui est amusant, un brin pervers dans la structure du film. Pour moi, ce qui est intéressant, c’est de vous mettre à la place de Cooper. Dans le dispositif à huis clos, vous êtes, contre votre gré, en train de l’encourager à s’en sortir parce que vous l’aimez bien. Vous ne pouvez pas vous empêcher de l’aimer, car il est agréable à fréquenter. Et vous jubilez de voir comment il navigue dans entre toutes ces situations impossibles.
Que pensez-vous de la fascination de notre époque pour les tueurs en série, les true crime ? Trap est-il une façon de nous mettre face à cette attraction morbide ?
Oui, il y a un peu de ça. On a souvent tendance à voir les monstres loin de nous, mais ils sont bien réels, existent dans le monde, et font partie intégrante de l’humanité. Nous sommes effrayés parce qu’ils vivent parmi nous, qu’ils font des choses et que nous n’en savons rien. Et puis un jour, quelqu’un disparaît. Et c’est l’instituteur qui l’a fait, ou votre voisin, ou, vous savez, le gars qui vient à votre barbecue [rires]. C’est effrayant, ce danger qui nous regarde de si près, ça touche un nerf sensible en nous. Si toute notre famille, nos enfants, nos collègues regardent ces true crimes, c’est parce que cela nous titille, nous fait réfléchir à nos plus grandes peurs.
Trois films de M. Night Shyamalan où l’enfance côtoie l’effroi
En même temps, Trap est aussi l’histoire d’un père qui offre à sa fille l’amour qu’il n’a pas eu.
Oui, est c’était important de le montrer. Un personnage dont les actes sont abjects, impardonnables, est d’autant plus fort quand on dévoile sa part d’humanité. Ce qui touchent les gens, c’est de percevoir dans l’obscurité quelque chose qui leur ressemble un peu. C’est une croyance personnelle très forte, cette idée d’arriver à voir en l’autre un peu de soi.
Votre cinéma est de plus en plus drôle, plein d’humour noir. Pourquoi ?
Depuis The Visit [film de found footage sorti en 2015, dans lequel deux adolescents découvrent une horrible vérité lors de vacances chez leurs grands-parents, ndlr], j’aime vraiment mettre dans mes films ce flottement. Je pense que le public d’aujourd’hui a vraiment besoin de sentir cet humour, cette ironie. Je circule entre le genre de l’effroi et le rire, et je ne pense pas qu’ils s’excluent mutuellement. Dans Trap, l’amusement est la première sensation que le spectateur ressent, avant d’être amené sur la piste du suspense, du « Mon dieu, comment ce psychopathe va s’en sortir ? » Narrativement, ce mélange apporte un mystère, auquel, je crois, le spectateur adhère.
Votre fille, Saleka Shyamalan, qui interprète la pop star Lady Raven, a écrit et composé tous les titres du film. D’où vient cette idée ambitieuse ?
Avec Saleka [qui est comédienne et chanteuse, ndlr], nous voulions faire un thriller musical. De là est partie l’envie de demander à Saleka de composer un album entier, qu’on entendrait dans le cadre d’un concert, et qui servirait de trame psychologique pour commenter implicitement l’action, l’état d’esprit des personnages. Pour rendre hommage à ce travail, on a organisé et filmé un vrai concert : le show que Cooper et Riley voient, vous le voyez aussi, tout est réel. Les costumes, la scénographie, les lumières, on a tout mis en scène et immortalisé comme un concert live, afin de le monter plus tard en alternance avec des scènes de thriller.
M. Night Shyamalan, quel cinéphile es-tu?
Il paraît que vous vous êtes inspiré de l’œuvre de Modigliani pour le film, c’est vrai ?
Tout à fait. L’utilisation de la couleur par Modigliani [peintre italien du début du XXème siècle, ndlr] est tout simplement extraordinaire. J’ai utilisé ses peintures pour travailler avec l’équipe du film, imaginer des palettes, des ambiances différentes selon les espaces, la scène, les loges… Avec ma cheffe-décoratrice, Caroline Duncan, nous peignions en quelque sorte avec ses palettes de couleurs pour créer les univers visuels du film.
Trap de M. Night Shyamalan, 1h45, Metropolitan, sortie le 7 août
Image : © Warner Bros.