Pour ses 30 ans, le festival s’ouvre sur Mika ex machina de Mika Tard et Déborah Saïag, une comédie dans laquelle un groupe d’amis enquête sur des événements mystérieux. Pourquoi ce choix ?
C’est une proposition risquée et réussie. Un film qui mélange les genres en passant par la comédie, le thriller, la rom com, le buddy movie et le Cluedo vivant, le tout dans une esthétique proche du documentaire. Il revêt une dimension très contemporaine sur la sororité, l’importance de la parole pour pouvoir faire société… C’était en accord avec l’esprit de ce trentième anniversaire.
C’est-à-dire ?
Nous voulions éviter l’aspect rétrospectif et commémoratif. On a bien sûr des séances patrimoine : on passe par exemple Go Fish de Rose Troche, qu’on avait présenté lors de notre première édition, en 1994. La cinéaste sera présente, accompagnée de sa scénariste et actrice Guinevere Turner. Symboliquement, c’est très fort. Mais nous souhaitions continuer à nous tourner vers l’avenir, vers les nouveaux territoires queer à explorer et à expérimenter. Il y a vraiment de la matière, ce serait dommage de s’en priver.
Quel bilan dressez-vous de ces trente premières années ?
Le festival n’a cessé de gagner en ambition, en notoriété et en succès public. L’an dernier, nous avons atteint les dix-sept mille entrées avec des salles archipleines. C’est un immense plaisir. Mais un combat reste à mener : notre budget est particulièrement modeste, car on manque de subventions. Le festival est encore considéré par les décideurs comme un « petit événement communautaire ». Pourtant, Chéries-Chéris, c’est avant tout un festival de cinéma à la portée universelle. Et le cinéma tend un miroir vital à notre société. J’ai découvert mon homosexualité quand j’étais au collège. Je regardais Priscilla. Folle du désert de Stephan Elliott (1995), Les Roseaux sauvages d’André Téchiné (1994), Beautiful Thing de Hettie MacDonald (1996), Happy Together de Wong Kar-wai (1997). Le cinéma m’a beaucoup aidé dans ma construction, et cette cinéphilie, que promeut notre festival, offre les modèles d’identification dont nous avons besoin.
Comment compose-t-on une programmation aussi vaste que celle de Chéries-Chéris, qui compte cette année soixante-quatorze longs métrages et soixante-dix-sept courts métrages ?
C’est un vrai marathon. Mon critère principal, c’est la prise de risque et l’identité affirmée du cinéaste. J’essaie de ne pas avoir une grille de lecture trop péremptoire et d’offrir un large panorama, en respectant les personnalités de chacun et les différents genres cinématographiques. Il faut qu’il y ait un certain équilibre avec des films d’auteur, mais aussi des films feel-good, des romances… Cette année, par exemple, on a Mascarpone 2. The Rainbow Cake [d’Alessandro Guida, présenté dans la sélection Panorama, ndlr]. Ce film, je sais que les gays vont le savourer, et ce plaisir du spectateur, il faut le respecter.
Mascarpone 2. The Rainbow Cake d’Alessandro Guida
Êtes-vous aussi guidé par des enjeux de représentations ?
Le terme « représentation » est à manier avec précaution. Quand on parle de représentation, on y associe souvent un aspect positif ou inspirant. Mais ce n’est pas un critère suffisant pour juger la qualité d’un film. En 2021, j’avais sélectionné Bruno Reidal de Vincent Le Port [sorti en 2022, ce film adapte les Mémoires d’un jeune criminel au début du xxe siècle, ndlr]. On ne peut pas dire qu’il donnait une représentation très positive de l’homosexualité, mais c’est un grand film de cinéma. Maintenant, quand on organise un festival qui se prétend LGBTQIA&+++, il faut bien entendu veiller à un équilibre entre les films à thématique lesbienne et les films à thématique gay, tout en ménageant une belle visibilité pour les films trans, queer, intersexes ou même asexuels. D’ailleurs, cette année, on présente en compétition Slow de Marija Kavtaradze, un film lituanien remarquable sur l’asexualité.
Vincent Le Port, esprit sauvage
Quels thèmes se dégagent de cette édition ?
Une thématique qui me tient à cœur, ce sont les expressions sexuelles dissidentes. J’adore les personnages hors norme qui assument leurs outrances. Comme dans le documentaire Les Madeleines d’Arthur Dreyfus, en compétition cette année. Le cinéaste a mis à l’honneur une personnalité extravagante, à l’aura aussi queer que proustienne – comme sortie d’un comic Marvel. Quelqu’un qui, à l’heure du thé, va parler de ses expériences de fist, de backroom et y mêler des considérations très érudites… C’est le genre de personnage que j’affectionne.
Festival Chéries-Chéris, aux mk2 Quai de Seine, Beaubourg et Bibliothèque, du 15 au 26 novembre.
Image d’ouverture : MIKA EX MACHINA un film de _ Mika Tard et Déborah Saïag (Pyramide Films)