Selon vous, à quel point les thématiques à l’œuvre dans Dune résonnent-elles avec notre époque ?
Frank Herbert écrit Dune en 1965, mais il a fait des projections en s’inspirant des grands courants de pensées du XXème siècle. Des projections malheureusement pertinentes. C’était tout l’intérêt de cette adaptation. J’étais amoureux du livre bien sûr, mais je voyais bien que l’histoire avait encore plus de sens aujourd’hui qu’à l’époque [à travers l’histoire des Fremen, qui luttent contre les Harkonens depuis près d’un siècle pour préserver les ressources naturelles de leur planète Arrakis, Dune aborde notamment les thématiques de l’occupation territoriale, la résistance, la mondialisation et l’écologie, ndlr].
Quelles œuvres vous ont influencé dans la création de l’univers de ce film ?
Quand je fais des films, j’essaie de ne pas me référer à d’autres œuvres cinématographiques. Je préfère faire table rase, même si c’est naïf de penser que c’est possible. Quand on fait un film dans le désert, il y a des références incontournables comme Lawrence d’Arabie de David Lean (1962), qui a d’ailleurs inspiré Frank Herbert. Il y a des plans hommage à ce film dans Dune : Deuxième Partie. La Dernière Tentation du Christ de (1988) est aussi un film qui m’a beaucoup influencé.
Finalement, je suis en totale contradiction avec ce que je viens de dire ! Pour cette deuxième adaptation, j’étais surtout obsédé par l’idée de rythme. Je me suis inspiré du court métrage Beep, Beep de Chuck Jones (1952) [cartoon humoristique dans lequel Bip Bip, oiseau du désert extrêmement rapide est continuellement pourchassé par Vil Coyote, qui ne parvient jamais à l’attraper, ndlr]. Il y a un rythme et une efficacité incroyables dans ce dessin-animé. Les références qu’on va chercher sont parfois étranges, mais ça me parlait beaucoup.
Quel est le plan dont vous êtes le plus fier dans Dune : Deuxième Partie ?
Dans chacun de mes films, il y a toujours des plans charnières qui sont des étapes clés dans la narration. Si ces plans sont réussis, je sais que j’ai une matière solide pour faire un film. Dans Dune : Deuxième Partie, il y a en a plusieurs dont je suis fier, notamment le tout dernier. Je vais faire attention à ne rien spoiler, mais je voulais trouver une émotion très précise avec un des acteurs. C’est un gros plan qui contient une grande charge émotionnelle, avec une émotion qui se transforme. En étant directement en contact avec cette personne, en lui parlant tout près, en la nourrissant avec une rythmique très précise, j’ai réussi à obtenir ce plan. J’étais profondément ému et je me suis dit : « Là, j’ai un film ! »
Comment avez-vous tourné les très impressionnantes scènes de chevauchées des vers de sable, ces créatures souterraines essentielles à l’écosystème de la planète d’Arrakis, que les Fremen utilisent dans le second volet comme moyen de transport ?
Il fallait que ces scènes soient les plus vraisemblables, dangereuses et exaltantes possibles. Pour les réaliser, j’ai développé une technique d’une grande complexité, qui demandait à mon équipe une semaine de préparation pour tourner un seul plan. C’était impossible ! On a donc dû créer une deuxième équipe, « l’équipe du vers ». Je leur donnais mes instructions et pendant qu’ils préparaient les différents éléments, j’allais tourner ailleurs, avec l’équipe principale [L’équipe principale continuait d’avancer à un rythme traditionnel sur le tournage du film, filmant plusieurs plans par jour. Pendant ce temps, la deuxième équipe installait les mécanismes nécessaires au tournage des scènes de chevauchement des vers de sable, dans une autre partie du décor, ndlr].
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Ma conjointe Tanya Lapointe [cinéaste canadienne qui était déjà assistante de production sur Premier Contact de Denis Villeneuve en 2016, ndlr] était mon double pour cette deuxième unité. Elle était mon regard, mes oreilles, ma voix, et aidait à la préparation du plan. Une fois que tout était peaufiné, je pouvais venir tourner le plan. C’était la première fois que je travaillais comme ça, c’était épuisant.
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Où en êtes-vous de la conception du troisième volet ?
Je n’aime pas beaucoup parler des projets qui sont en gestation. C’est encore trop fragile. D’ailleurs, je me demande bien ce qui m’a pris de parler de la possibilité de faire ça ! [Le 28 août 2023, le réalisateur canadien avait confié à Empire son envie de réaliser un troisième volet de cette saga, adaptant le livre Le Messie de Dune de Frank Herbert (1969). Il a ensuite annoncé le 31 janvier au Time Magazine que ce troisième film serait le dernier volet de sa trilogie, ndlr]. Le film est en écriture. Mais écrire un bon scénario, ça prend du temps. Le piège avec les films de cette ampleur, c’est qu’il y a une sorte d’excitation autour du projet. C’est réjouissant parce que les gens sont heureux, mais je ne veux pas qu’on se précipite. Et puis je ne sais pas si c’est une bonne idée de retourner sur Arrakis tout de suite. J’aimerais faire un détour par un autre film, pour prendre une distance nécessaire et revenir avec la bonne énergie.