Claire Doyon : « Filmer a été une arme posée contre le regard des autres »

Cannes 2003 : Claire Doyon est remarquée avec son film « Les Lionceaux ». Presque 20 ans après, « Pénélope, mon Amour » signe son retour. Un poignant cri du cœur qui raconte son combat contre la maladie de sa fille, contre la violence médicale et sociale et la cruauté de la norme.


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Comment définiriez-vous votre film ?

Je le vois comme un film d’aventure. Mon héroïne, Pénélope, « lonesome autist girl », m’embarque vers des pays inconnus, me montre d’autres façons d’être au monde et me fait descendre dans les profondeurs de ma psyché. Si je devais citer une image, ce serait Lucky Luke sur son cheval, disparaissant au loin.

« Penelope mon amour » de Claire Doyon : l’autisme en face

Quel a été le déclic pour ce film ?

La vision d’une énorme valise dans un placard, débordante de cassettes DV, bobines super 8, cartes mémoires… Quinze années s’étaient écoulées depuis les premières images que j’avais tournées. J’ai réalisé qu’il y avait matière à faire un film, pas forcément sur l’autisme de Pénélope mais sur la manière dont mon regard avait changé au fil du temps.

Vous dites : « La caméra est mon arme et mon bouclier »….

Quand Pénélope ne dormait pas la nuit, je perdais mes moyens. En filmant, j’ai pu trouver un espace de liberté, convoquer une présence pour moi-même, sentir que la nuit avait un sens. La caméra est devenue un confident et un bouclier contre la folie. Filmer a aussi été une arme posée contre le regard des autres. Certains changent leur regard quand ils me voient filmer Pénélope. La caméra a ce don d’accorder une « once de plus value » à la personne filmée. Pénélope se trouve comme hissée vers une humanité plus grande, plus proche de la personne qui la regarde. Cela joue à la fois comme protection et positionnement. La caméra a aussi été un moyen d’entrer en relation avec elle. Filmer est devenu notre jeu sans parole, ni règles. Je crois que Pénélope aime être filmée. Elle m’interpelle très souvent avec un regard caméra et profite de la caméra pour me poser des questions muettes.

Vous évoquez la « souveraineté punk » de Pénélope, de quoi s’agit-il ?

Elle est radicalement réfractaire à toute forme de codification sociale. J’ai vécu tellement de moments punks avec elle. Un jour on passe devant la terrasse d’un café. Pénélope plonge la main dans une plat qu’un couple chic s’apprête à déguster. Elle empoigne la salade, la regarde comme si c’était un monstre marin, puis enfourne quelques lardons et rejette la salade qui atterrit sur la chevelure de la cliente interloquée. La salade finit par glisser le long du visage de la cliente et échoue sur son tailleur impeccable. Une expérience à la fois insupportable et délicieusement punk.

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Vous avez pensé à d’autres pistes narratives ?

Oui ! Au départ, à une comédie burlesque. Une farce à la manière des caricatures de Daumier qui aurait mis en scène des spécialistes de l’autisme, des psychologues, des pédopsychiatres, etc…face à la question de la différence. Peut-être un prochain film ? Je devais d’abord passer par un questionnement intime. Qu’est-ce que Pénélope fait bouger en moi et déplace ?

Vous avez réalisé un court métrage, It’s Raining Cats and Dogs, qui est comme une arborescence de votre long ?

C’est le portrait de mon amie Isabelle, porteuse d’autisme.  A travers elle, j’ai souhaité transmettre une manière d’être au monde très particulière. J’ai le sentiment qu’il y a une constellation de films possibles à partir de mon long métrage. La question de la différence est un chantier d’exploration intime, politique et poétique que j’ai envie de creuser avec le cinéma. Nous sommes tous des freaks, mais incapables d’accepter ceux qui ne parviennent pas à s’adapter à notre « normopathie ». C’est un endroit limite en nous-même et dans notre société qu’il est important d’interroger. Je pense que le prochain #MeToo sera celui des freaks.

Pénélope mon amour de Claire Doyon, Norte (1 h 28), sortie le 12 octobre

Images (c) Norte Distribution