En 1999, HBO diffusait pour la première fois Les Soprano, une série qui a fait l’effet d’une bombe sur nos petits écrans. Tout en déroulant sur six saisons une brochette de crimes et de trafics d’une violence glaçante, elle pénétrait l’intimité et la psyché névrosée de Tony Soprano, un parrain de mafia italo-américaine (magnifiquement incarné par le regretté James Gandolfini), pour démystifier de façon inédite la figure très fantasmée du gangster – avait-on déjà vu un mafieux au physique de colosse se balader chez lui en caleçon et marcel blanc ? ou être envahi par d’intenses crises d’angoisse dans le cabinet de sa psy ? Brillamment écrite par David Chase, la série aurait pu se terminer sur sa sublime séquence finale, tout en suspens.
Mais voilà que son mythique showrunner a relancé la machine, en signant le scénario d’un préquel sous forme de film qui, sur le papier, pourrait laisser dubitatif. Heureusement, The Many Saints of Newark d’Alan Taylor (qui avait réalisé neuf épisodes des Soprano) réussit à prolonger la puissante veine psychanalytique de la série. Le film explore la manière dont la violence masculine se transmet de génération en génération, tout en s’ancrant dans l’histoire traumatique de l’Amérique des années 1960 et 1970 dans laquelle le sort d’immigrés italiens, bien décidés à entrer par effraction dans un rêve américain inaccessible, percute celui des Afro-Américains, en lutte pour leurs droits.
Construit autour du personnage à la fois sensible, cruel et sanguin de Dickie Moltisanti (Alessandro Nivola) que l’on ne voit jamais dans la série, père de Christopher et oncle de Tony, le film fait ainsi de Newark l’épicentre chaotique des souffrances inapaisées de minorités cherchant par tous les moyens à se faire une place – idée symbolisée par le feu qui envahit plusieurs strates du récit, qu’il serve à maquiller un parricide dans un restaurant désert ou qu’il jaillisse lors de protestations durement réprimées par la police. Littéralement enflammée, cette généalogie du crime très scorsesienne dans sa mise en scène (on y croise d’ailleurs Ray Liotta, gangster des Affranchis) est aussi peuplée de fantômes. Les connaisseurs de la série verront dans la version rajeunie de Tony (campé par Michael Gandolfini, fils de James Gandolfini) une fascinante incarnation de la malédiction qui rongera les Soprano. Et ce que le film perd en humour noir (plus présent dans la série), il le rattrape en spectacularité.
The Many Saints of Newark d’Alan Taylor, Warner Bros. (2 h 03), sortie le 3 novembre
Image (c) 2021 Warner Bros