A l’origine, il s’agit d’une commande passée en 1973 par la communauté religieuse luthérienne de Pittsburg pour rendre compte de la maltraitance envers les personnes âgées à aux Etats-Unis. Romero, dont le premier film, La Nuit des morts-vivants (1968) – premier d’une longue série de films de zombies pour ce maitre absolu du genre – avait connu un certain succès, était sur la paille à cause d’une histoire de royalties.
Il a donc accepté le job, malgré le budget dérisoire alloué au film. Sauf que les Luthériens ne devaient pas s’attendre à une proposition si sombre, ni à ce que le cinéaste ne remplisse pas entièrement le cahier des charges – qui stipulait notamment que le film devait se conclure par un message religieux positif.
Le montage est rejeté, le film ne sort pas et la bobine est oubliée dans un tiroir. Jusqu’à ce qu’en 2018, la veuve du réalisateur, Suzanne Desrocher-Romero, remette la main dessus. Celle qui s’occupe de la fondation Romero est formelle : c’est son film le plus terrifiant.
On ne peut pas lui donner tort. The Amusement Park fait froid dans le dos. D’une parfaite limpidité dans son programme – un vieil homme qui se réjouissait de passer une journée à la fête foraine, ignorant les mises en garde d’un autre papy au visage meurtri et a l’air traumatisé, vit effectivement une véritable descente aux enfers – le film instille pernicieusement le malaise avec ses cadrages un peu trop serrés, ses grands angles légèrement déformants et sa bande son pleine de saturations, de dissonances et de superpositions désagréables.
S’il ne s’agit pas à proprement parler d’un film d’horreur – parlons plutôt d’une farce macabre -, on vit bien des sensations fortes dans cette immersion foraine. Impossible de ne pas éprouver de l’empathie pour ce vieil homme gentil, humilié crescendo par les visiteurs et les organisateurs.
Au milieu du film, le héros assiste à la séance de voyance d’un jeune couple qui désire en savoir plus sur son avenir ; la vision de leur quotidien de vieilles branches inadaptées à la ville cacophonique et agressive est glaçante. Mais c’était une autre époque : Romero avait le bon goût de ne pas tomber dans un torture porn déchainé et de délivrer un message tout sauf cynique : il faut voir et prendre soin de nos vieux. Une cinquantaine d’années plus tard, c’est presque encore plus vrai.
: The Amusement Park de George A. Romero (Potemkine, 53min)
Images : © Potemkine Films