« Ma vie ma gueule » de Sophie Fillières : poétiser le réel

[CRITIQUE] Ultime film de la cinéaste Sophie Fillières, monté sous la supervision de ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, et de François Quiqueré, « Ma vie ma gueule » faisait l’ouverture de la Quinzaine des cinéastes. Une comédie existentielle irrésistiblement drôle et déchirante.


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Barberie Bichette… Sophie Fillières avait le sens de la formule. Elle ne pouvait d’ailleurs pas entamer l’écriture d’un nouveau film si elle n’avait pas son titre, comme s’il fallait fixer au moins ça, faire exister une idée, la rendre tangible dans un monde fuyant, aux contours un peu flous.

Ce que nous raconte Ma vie ma gueule vient peut-être de là, de cette nécessité à saisir quelque chose dans le grand désordre que représente une existence, en l’occurrence ici celle de Barberie Bichette donc, double évident de Sophie Filières, alter-ego pris en charge par Agnès Jaoui, sublime et troublante de ressemblance. Barberie Bichette, 55 ans, travaille dans une agence, écrit des poèmes, arrête la cigarette puis reprend.

Elle a deux enfants, un fils ami, une fille avec laquelle elle entretient une relation plus compliquée, sans doute verrouillée par les reproches et la pudeur, un psychanalyste laconique. Elle a surtout parfois cette fâcheuse tendance à se faire engloutir par le réel qui par intermittence décide de ses choix, l’extirpe de son processus d’écriture pour la pousser vers une salle de sport, l’empêche de dire non aux demandes d’une anonyme, souriante mais abusive.

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C’est ainsi que se déplace Ma vie ma gueule, à travers ces interstices, cette trivialité du quotidien que Sophie Fillières savait si bien modeler, poétiser, détourner. Le film avance comme son personnage, d’abord les pieds sur terre avec l’élan d’une comédie, puis bientôt plus flottant quand il est percuté par son versant dépressif et déréalisé.

Dans cet entre-deux chancelant, Barberie, parfois surnommée Barbie, se raccroche à ses mots à elle, choisis, inventés (ce « Fanfan » qu’elle donne comme prénom à l’ensemble du personnel soignant de l’hôpital de jour), se parle à elle-même comme pour préserver l’intégrité physique de celle qui a peur de disparaître (« je n’ai pas le temps de mourir ») et cherche le secret de qui elle est. Les plus beaux films sont peut-être les plus bancals, ceux qui trébuchent, apprennent à vivre un peu mieux quand tout se dérobe.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023.