L’ODORAT
« Ce qui m’intéresse, c’est le corps, donc le sens. Dans Ava, c’était la vue, qui était plus évidemment cinématographique. Ce qui m’intéressait ici, c’était d’aborder un sens qui touche à l’invisible. Comment filmer l’invisible ? On passe par quelque chose de très concret, une petite fille qui encapsule les odeurs dans des pots et qui les étiquette. L’idée, c’était d’aller petit à petit vers quelque chose de plus abstrait et métaphysique, en faisant un lien entre les odeurs, les souvenirs et les rêves, et de partir dans l’invisible. Ce qui est important, ce sont les images qu’on montre évidemment, mais aussi les images cachées derrière. »
LA MAGIE
« Pour imaginer le don de Vicky, j’ai pensé au Tambour de Volker Schlöndorff, sur un enfant qui a décidé d’arrêter de grandir et qui fait exploser les verres autour de lui quand il hurle à cause d’une fréquence dans sa voix. Par ailleurs, j’ai grandi dans une campagne où il y a beaucoup de magie, comme dans beaucoup d’endroits en France et dans le monde. Moustapha [Mbengue, qui campe le père de Vicky et l’époux de Joanne, ndlr], qui est sénégalais, me disait : “Chez moi, les gens voient ou ne voient pas.” Je voulais que le film parle de magie, mais surtout de transmission ; du fait que le passé hante, mais aussi le futur. »
LA MONTAGNE
« Je ne m’identifie pas du tout au cinéma bourgeois parisien. En France, on a des paysages très variés, qui peuvent contenir beaucoup de romanesque. C’est Esther Mysius, la chef déco et directrice artistique [aussi sœur jumelle de la réalisatrice, ndlr], qui m’a poussée à aller vers cette vallée entourée de montagnes. Elle m’a montré ces lotissements pointus, ces décors qui ancrent d’emblée le film dans le fantastique. Cet endroit, avec les montagnes, c’est comme une boule qu’on secoue avec la neige à l’intérieur : un monde clos. On sent la référence à Twin Peaks de David Lynch. Pourtant, je n’avais pas encore vu la série, seulement le film, mais la référence est partout, elle contamine tout. Et, bien sûr, on a pensé à pour la séquence du début, filmée avec un drone. »
ADÈLE EXARCHOPOULOS
« J’ai pensé à Adèle Exarchopoulos assez vite dans le processus d’écriture pour jouer la mère. Je trouvais très intéressant qu’elle soit à l’opposé du rôle. Joanne est très droite, froide. Adèle déborde de vie, elle est bouillonnante. C’est une actrice démente, elle est d’une justesse, d’une inventivité et d’une beauté… Pour le début du récit, il fallait la contenir jusqu’à la frustration – Adèle en parle comme ça. Être droite, bien articuler, ne pas être dans une sensualité évidente. Ça contraste avec les flash-back, dans lesquels on la découvre pleine de vie, incandescente. Ça, c’est plus Adèle. Et elle a apporté une sorte d’humour au personnage, qui nous semblait aussi important. »
LA SCÈNE PRIMITIVE
« J’avais une référence psychanalytique, La Nuit sexuelle de Pascal Quignard, qui parle de la scène primitive. Je l’ai relu après avoir écrit une première version du scénario, et ça a fait tilt : il parle du fait que les enfants imagineraient qu’avant leur naissance il y aurait des cris, des feux et un massacre. C’est la première image du film, j’ai trouvé ça assez marrant. Quignard dit que, pour les enfants, ce serait la scène d’avant leur naissance, peut-être celle de la conception, à laquelle ils ne pourront jamais assister, et qu’ils aimeraient pouvoir demander à leurs parents : “Est-ce vous m’aimiez avant que j’existe ?” Tout ça a nourri le film, mais je n’avais pas envie qu’il soit trop cérébral mais ludique, spectaculaire, dans le plaisir. »
Les Cinq Diables de Léa Mysius, Le Pacte (1 h 35), sortie le 31 août
Illustration : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS
Images (c) Le Pacte