Leon et Felix, deux jeunes amis, s’installent quelque temps dans une maison de famille près de la mer Baltique pour travailler sur leurs projets artistiques respectifs. La présence de Nadja, invitée surprise, et de Devid, sa conquête, rebat immédiatement les cartes, tandis que galopent au loin des feux de forêt ravageurs. Avant même que n’apparaisse la première image du film, dans cet intervalle fugace où tout peut encore s’imaginer, résonne un titre du groupe autrichien Wallners, que l’on entendra à trois reprises, sans autre morceau d’accompagnement. « In my mind / Love’s gonna make us, gonna make us blind / We’ll be living in a place we like / What’s gonna make us, gonna make us find ? »
Le renouveau du jeune cinéma allemand
Un couplet qui a presque valeur de synopsis tant il annonce la trajectoire des quatre personnages et dit l’importance du songe – motif récurrent chez Petzold –, d’une possible rêverie à plusieurs entrées. Car la maison aux allures de chaumière dans laquelle les jeunes gens évoluent, dressée au milieu d’une clairière, donne au film des allures de conte et permet en théorie l’absence au monde extérieur que Leon convoite tant. Or, son sommeil est très vite empêché et ses déplacements circonscrits – il s’installe à l’extérieur, sur une pergola qui ressemble à une triste scène, ne parvenant à occuper les espaces de la maison, pareils à ces aires de l’esprit qui lui sont inaccessibles. Dans son obsession d’achever son second roman – étape réputée décisive dans le parcours d’un écrivain, comme d’un cinéaste –, Leon peine à atteindre l’étage supérieur (il est souvent question d’échelles auxquelles il ne grimpe pas), arrêté dans son ascension par son trouble intime.
Jusqu’à en perdre contact avec ses sens, à ne pas entendre la forêt étouffer – son roman dit d’ailleurs « Y a t-il des odeurs dans les rêves ? ou seulement des images et des sons ? », fugace indice d’un vacillement. Avec, comme figure d’élévation, l’incandescente Paula Beer, qui incendiait déjà Ondine (2020), Christian Petzold raconte magistralement l’esprit rattrapé par le corps, l’irrépressible besoin de charnel dans l’acte de création. Un sentiment de l’été qui n’a pas tout à fait l’insouciance des autres films du genre, tant le ciel qui rougeoie au-dessus du quatuor le menace d’un embrasement fatal.
Le Ciel rouge de Christian Petzold, Les Films du Losange (1 h 43), sortie le 6 septembre