Enys Men est l’un de ces films rares, évoquant les œuvres maîtresses du passé mais tournés vers leur propre magie, devant lesquels le mystère des images n’est jamais totalement résolu. Comme le symbole d’un lieu familier inconnu, phénomène de possession atemporel, pourtant à l’ombre des figures du cinéma d’horreur britannique des années 1970 (The Wicker Man, La Nuit des maléfices, voire Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, pour le brouillage narratif autour du deuil et le ciré rouge de l’héroïne).
Quelque part sur une île perdue des Cornouailles, une biologiste d’âge mûr aux yeux bleus consigne chaque jour son isolement, après son jet de caillou rituel dans la bouche d’un puits et l’analyse de fleurs blanches – « 21 avril 1973, température 14,3 degrés. Observations : aucun changement ». Le moindre bruit ou geste bousculant l’inertie, la moindre secousse du montage (vision fugace d’une jeune fille, de nonnes au soleil, puis d’un prêtre dément dans la nuit) creuse l’entrée d’un dédale spirituel.
Tourné en 16 mm par Mark Jenkin, enfant des Cornouailles, dont il avait déjà capturé l’essence dans Bait, son précédent long remarqué à la Berlinale 2019, Enys Men fait doucement éclore le malaise, à travers landes et dénis.
Enys Men de Mark Jenkin, Ed (1h31), sortie le 10 avril.