« Drunk » : une satire sociale enivrante

Le dernier Thomas Vinterberg conjugue satire sociale et expérience sensorielle.


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Cette critique a été initialement publiée en octobre 2020. Nous la republions pour la reprise du film ce 19 mai.

Se basant sur la théorie du psychologue norvégien Finn Skårderud selon laquelle l’homme naîtrait avec un déficit d’alcool dans le sang, quatre Danois décident d’augmenter méthodiquement leur consommation quotidienne afin d’en savourer les prétendus bénéfices psychologiques…Pour rendre ce projet aux contours a priori loufoques réaliste, Thomas Vinterberg l’ancre dans un environnement social qui pointe combien ces profs, censés être des figures d’autorité pour leurs élèves et leurs enfants, se trouvent envahis depuis longtemps par une mollesse et une monotonie s’apparentant à une grave « crise de milieu de vie ».

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À l’aide du scénariste Tobias Lindholm (réputé pour la série Borgen) avec qui il avait déjà signé Submarino, La Chasse et La Communauté, le cinéaste excelle à croquer l’allégresse qui gagne les personnages à mesure qu’ils s’enfoncent dans leur spirale alcoolique. Si le réalisateur de Festen traite une nouvelle fois d’aveuglement et de déni, il atteint une empathie inédite en nous maintenant constamment en prise avec ses quatre antihéros assez pathétiques par le biais d’un riche travail sensoriel : les bruits entêtants de liqueurs qui coulent et de verres qui s’entrechoquent exaltent ainsi les désirs libérateurs des quatre hommes tout en dépeignant les tragiques engrenages de leur addiction. Mené par l’excellent Mads Mikkelsen, Drunk distille son ambivalence morale jusque dans une mémorable séquence finale aux airs de comédie musicale qui cristallise toutes les nuances de l’ivresse au son du grisant « What a Life » de Scarlet Pleasure.

3 QUESTIONS À THOMAS VINTERBERG

Pourquoi faire un film centré sur l’alcool ?

L’idée est née il y a quelques années pendant un séjour à Paris. Je me suis penché sur l’histoire de l’art et sur quelques œuvres géniales créées par des gens en état d’ébriété, comme Hemingway ou Tchaïkovski. J’ai voulu célébrer l’ivresse, mais aussi en explorer le côté obscur.

La fin du film met en scène une danse mémorable.

Cette séquence nous faisait assez peur avec Mads Mikkelsen, car la chorégraphie aurait pu être très kitsch. Alors on a imaginé cette montée en puissance pendant laquelle il commence à danser, puis hésite, puis repart de plus belle. Chacun se fera son idée de la conclusion, mais la mienne est plutôt heureuse.

Qu’est-ce que ces hommes en crise disent-ils de vous ?

Ces quatre Danois d’aujourd’hui recherchent avant tout un moyen de vivre une existence plus inspirante. Il se trouve que j’ai été intimement touché par le deuil au début du tournage [sa fille cadette, Ida, est décédée à 19 ans dans un accident de la route, ndlr] : continuer ce film n’avait de sens qu’en y célébrant la vie.

: Drunk de Thomas Vinterberg (Haut et Court, 1h57)

Images : © Henrik Ohsten