CANNES 2024 ⸱ « Le Royaume » de Julien Colonna : sang pour sang

[CRITIQUE] Pour son premier long métrage, le réalisateur corse Julien Colonna, fils d’un parrain insulaire, s’inspire largement de son histoire personnelle et accouche d’un film hybride, à la fois poisseux et touchant, qui parle autant de gangsters que de relations filiales.


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Au Festival de Cannes, la Corse n’a rien du lieu de villégiature. Après le très réussi À son image, de Thierry de Peretti, présenté à La Quinzaine des réalisateurs, la Croisette a découvert Le Royaume dans la sélection Un certain regard. Même ciel blanc, même atmosphère écrasante, même destin qui n’a rien à envier aux tragédies antiques : si Julien Colonna n’a pas l’expérience de son compatriote, et signe ici son premier long métrage, on sent chez lui une envie similaire de s’emparer des paradoxes locaux pour traduire la complexité et les failles d’une île qui en est remplie.

Son héroïne s’appelle Lesia, a 15 ans, et ne souhaite rien d’autre que retrouver son amoureux à la plage. Lorsqu’on la conduit dans le maquis pour voir son père, elle apprécie assez peu l’idée. Peu à peu, ils s’apprivoisent et l’ado qui ne rêvait que de repartir se décide à rester, malgré la menace qui plane. De fait, les amis du paternel se faisant tous descendre un par un, il semble évident qu’une vendetta en marche menace les retrouvailles.

Le Royaume est un pur film de gangsters, qui assume rapidement d’évacuer toute question politique. Personne, ici, ne se bat pour des idées. Il n’est question que de vengeance, de traque et de mort. Car Julien Colonna ne tombe jamais dans le piège de la fascination. Chez lui, les voyous se terrent dans des villas ou des campings et voient leurs proches pleurer. Le désastre infiltre tout et tâche tout le monde, à l’image de ce sang qu’on lave dans la piscine dans laquelle d’autres se baignent. Le cinéaste parvient avec talent à créer une ambiance faite de poussière, de souvenirs et de plomb(s). Mais la force du film réside aussi dans cette relation filiale qui s’épaissit peu à peu, dans une sorte de road-movie touchant. Lesia découvre ce royaume crépusculaire dont elle héritera, qu’elle le veuille ou non.

L’actrice Ghjuvanna Benedetti, excellente, dissimule derrière sa figure renfrognée ses efforts pour plaire au paternel. Impossible de ne pas y voir la trace de l’enfance du réalisateur, lui-même fils de Jean-Jérôme Colonna, parrain de la Corse du sud dont la mort en 2006 reste teintée de mystère. Le Royaume, co-écrit avec Jeanne Herry (Pupille, Je verrai toujours vos visages), est une vraie et belle œuvre de fiction, portée par un souffle indéniable.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2024. Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

Illustrations : CHI-FOU-MI PRODUCTIONS