Inspiré par un véritable restaurant tenu par un couple afro-chinois à Canton, Abderrahmane Sissako nous entraîne dans le quartier africain de la ville, qu’il filme plutôt de nuit, attentif à ses lumières bleutées, ses tons rougeoyants. Les reflets de ses vitrines aussi, comme pour insister sur ce trompe-l’œil : le cosmopolitisme manifeste laisse parfois apparaître le racisme chinois envers les communautés ivoirienne, sénégalaise, nigériane, capverdienne…
S’intéressant aux trajectoires croisées de différents commerçants, il se concentre sur une petite boutique de thé. Là, au sous-sol du magasin, Aya, une trentenaire ivoirienne, apprend la cérémonie du thé avec le propriétaire chinois du magasin, Cai, quinze ans plus vieux. Ces scènes, à la fois solennelles et sensuelles, sont filmées dans la réserve, tout en émotions rentrées, comme pour faire sentir dans les quelques mots échangés le poids de leur passé amoureux douloureux – le patriarcat et les injonctions des sociétés chinoise et ivoirienne circulent, vénéneux, dans ces non-dits. C’est tout l’art d’Abderrahmane Sissako de ne jamais tomber dans la démonstration de force, mais plutôt (comme dans l’art du thé) de choisir le raffinement, la précision, la rêverie.
Abderrahmane Sissako, poésie de la révolte
Black Tea d’Abderrahmane Sissako, Gaumont (1 h 50), sortie le 28 février