Para One, Caouette, Akerman : quand les cinéastes exorcisent les secrets de famille

Des cinéastes comme Para One, Jonathan Caouette ou Chantal Akerman choisissent le cinéma pour sonder leurs secrets familiaux ou leur histoire personnelle. Certains injectent à leur recherche une dose de fiction – une distorsion grâce à laquelle ils se protègent, ouvrent et s’approprient les zones floues de leur vie, interrogeant les rapports de l’image au souvenir.


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Mercredi 20 et jeudi 21 octobre, Para One (réalisateur de « Spectre (Sanity, Madness and The Family) ») et Naïla Guiguet (réalisatrice du court métrage « Dustin ») seront présents aux mk2 Beaubourg et Odéon (côté St Michel). Pour réservez des places, cliquez ici.

« J’ai envie que les secrets circulent », murmure la voix tremblotante d’un tout jeune homme derrière sa modeste caméra Super 8. À travers Omelette (1998), son film journal, le réalisateur Rémi Lange, la petite vingtaine, décide de faire son coming out à sa famille, affirmant que « c’est un peu plus facile avec la caméra ». Confiant son secret à sa mère en la filmant, il ne se doute pas qu’elle va à son tour s’épancher, apprenant à Rémi que son père a lui-même eu par le passé des relations gays – ce qui amène bien sûr le cinéaste, qui se mue en détective, à vouloir en savoir plus… La séquence dit beaucoup du pouvoir du cinéma en tant qu’outil de recherche intime : la caméra y sert presque d’armure lorsqu’il s’agit de se confronter à des secrets profonds, et en même temps elle a bien cette capacité à révéler l’insoupçonné, comme une échappée vers une multitude de fictions possibles.

REMUER LE PASSÉ

Comme Lange, il est souvent question, pour les cinéastes qui entament des enquêtes intimes, de se réapproprier une histoire personnelle qui leur échappe, de mettre des images sur des zones d’ombre. C’est le cas de Para One qui a passé vingt ans à penser son film Spectre. Sanity, Madness & the Family, dans lequel il s’imagine un alter ego investiguant sur sa famille qui a, par le passé, suivi un guide spirituel. Le musicien et réalisateur nous a confié que ce film l’avait « guéri », attestant de la fonction cathartique d’une telle introspection, doublée de fiction.

À partir d’un secret autour de son père, révélé en fin de film, il choisit en effet d’avancer avec la protection de la fiction pour préserver la vie privée de ses proches. Para One reprend des images documentaires de son père disparu, mais les retravaille alors au synthétiseur, comme pour les ouvrir et les amener ailleurs, les interpréter, y insuffler sa poésie avec l’imagerie des rêves – là où il peut aussi sonder l’inconscient. Il s’agit littéralement de remuer le passé et les affects, de les faire siens en les samplant. Ce genre de démarche est souvent le résultat d’une urgence, la mémoire s’effaçant comme une vieille VHS.

Para One : « Je viens de la musique électronique, qui clairement entretient un rapport à la transe »2ac8de50 0dba 4c26 b1f8 15b5bb714456 spectre3

C’est en tout cas le sentiment qu’a eu le jeune cinéaste Alexis Diop, réalisateur de l’entêtant court métrage Avant Tim (2020), après deux événements : la découverte d’une ancienne cassette vidéo de famille dans laquelle ses parents séparés apparaissaient ensemble, et la mort de son père six ans plus tard. On sent ce besoin de Diop de comprendre quelque chose de son histoire à travers la forme même de son film, une fiction found footage qui suit la découverte par son alter ego d’une vieille VHS figurant ses parents. Hors champ, le jeune homme se rejoue leur rupture, en rembobinant, en accélérant, manifestant par ces allers-retours son ressassement, son obsession, sa manière de se projeter dans les images. Mais là, le choix de la fiction se justifie par une autre recherche, le désir du cinéaste de se créer des souvenirs autres, imaginant lors d’une scène de confession face caméra ce que son père ne lui a pas dit, et ce qu’il aurait aimé qu’il lui dise.

VESTIGES ET VERTIGES

 Bien sûr, nous a dit Para One, le danger d’une telle recherche sur les siens, aussi fictionnelle soit-elle, est de réaliser un film cadenassé sur soi. Peut-être est-ce à cause de cette crainte que beaucoup de ces cinéastes choisissent de s’effacer, ne montrant pas leur visage, comme pour laisser le spectateur investir leur histoire personnelle. Comme Chantal Akerman dans News From Home (1977) par exemple, qui lit en off les lettres inquiètes que sa mère lui avait envoyées quand la cinéaste était en résidence à New York. Intervenant seulement par le montage, par sa lecture, et par le choix des plans de la ville vide, Akerman explore alors sa propre relation avec sa mère – un grand thème de sa filmographie – tout autant qu’elle s’unit au spectateur, lui laissant sentir le manque, l’exil, la mélancolie de la ville.

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C’est l’idée d’aboutir à une conscience partagée avec le spectateur, à l’instar de Tarnation (2004) de Jonathan Caouette, bouleversant journal filmé de l’Américain réalisé de ses 11 ans jusqu’à ses 31 ans, à Houston puis à New York, dans lequel le cinéaste sonde ses rapports avec sa mère atteinte de troubles psychiques. Son introspection a alors autant à voir avec ses origines qu’avec le fait de rendre compte du côté fragmentaire, flottant de l’identité elle-même. L’auteur ayant une appréhension vacillante de la réalité depuis qu’ado il a fumé des joints chargés de formaldéhyde et de PCP, il réalise son film avec une forme éclatée, multipliant les formats (Super 8, VHS, DV…) dans un montage halluciné. Dans cet éparpillement, cette nébulosité, Caouette interroge la matière même du souvenir, de la trace, leur caractère fragile et évanescent.

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Image : Carré 35 d’Eric Caravaca (2007) © Pyramide Films

Éric Caravaca, avec Carré 35 (2017), avait lui aussi cette réflexion méta sur le statut des archives. Au travers d’une enquête sur un secret enfoui (il se découvre une petite sœur atteinte de trisomie 21 morte à l’âge de 3 ans, avant sa propre naissance), il met en perspective son histoire avec la manière dont les images ont créé notre perception collective du handicap. Tout en se questionnant sur l’absence de photos de sa sœur, sur le manque inapaisable que cela peut représenter pour lui. Car parlant de traces, il dit en off ces mots qui résument ce que cherchent peut-être les cinéastes s’enquérant de leur histoire : « De ces restes d’images, ce n’est pas tant la disparition que l’on retient, c’est autre chose, quelque chose qui a à voir avec la vie, une force qui perdure grâce à l’image. »

Image de couverture : Tarnation de Jonathan Caouette (2004) © Collection Christophel