Il y a vingt-cinq ans, Chungking Express était le premier film de Wong Kar-wai à sortir en France. La distributrice Michèle Halberstadt raconte comment l’œuvre du cinéaste hongkongais fut lancée dans l’Hexagone.
« Début 1993, au festival de Sundance, je suis sortie bouleversée et en larmes de la projection de Nos années sauvages. Ce fut un véritable coup de foudre. J’ai commencé à me renseigner sur Wong Kar-wai. Au mois d’août, je me retrouve dans son bureau à Hong Kong, où il me montre les rushes des Cendres du temps, film de sabre dont il a dû interrompre le tournage par manque d’argent. On lui fait alors un chèque, en guise de préachat, pour qu’il puisse finir le film. » Distributrice chez ARP Sélection, Michèle Halberstadt découvre quelques mois plus tard le goût de Wong Kar-wai pour les surprises. « On reçoit par la poste une cassette et un mot disant qu’il a terminé Les Cendres du temps mais que, le projet s’étant éternisé, il a tourné un autre film en même temps. Sur la cassette, il y a Chungking Express. »
Si ARP comptait sortir Nos années sauvages en premier, tout fut soudain chamboulé. « On s’est dit que Chungking Express serait la meilleure manière pour le public français de découvrir le cinéma de Wong Kar-wai et on a foncé. » Sorti le 22 mars 1995 en France, le film raconte les amours impossibles d’une tueuse (Brigitte Lin), de deux policiers (Tony Leung Chiu-wai et Takeshi Kaneshiro) et d’une serveuse (Faye Wong). « C’est la parfaite définition du mot “pop” : cette explosion de couleurs, cette manière de tordre le cou au récit, cet amour de la musique, ce mélange d’énergie adolescente et de mélancolie absolue… il y a une fougue rimbaldienne chez Wong Kar-wai. »
Ses premiers films sortis en France ne trouvèrent pourtant pas immédiatement le succès. « C’était comme un club privé, cela n’intéressait pas grand monde. Mais le Prix de la mise en scène reçu à Cannes par Happy Together en 1997 a changé la donne. » C’est avec nostalgie que la distributrice évoque cette période durant laquelle elle sortit cinq films de Wong Kar-wai en moins de trois ans. « Son œuvre relevait du génie. Après ça, In the Mood for Love était un peu la version hétéro de Happy Together, et 2046 plutôt un best of de ses films. » •
ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY