CANNES: Sorry We Missed You, Ken Loach contre l’uberisation

Portrait d’une famille dans la précarité, le nouveau film de Ken Loach dissèque avec précision les ravages de l’uberisation et offre une tragédie moderne à l’émotion croissante. Infatigable, Ken Loach? Le cinéaste de 82 ans, requinqué par sa deuxième Palme d’or reçue en 2016 avec Moi, Daniel Blake, s’attaque ici à l’uberisation et aux effets


Portrait d’une famille dans la précarité, le nouveau film de Ken Loach dissèque avec précision les ravages de l’uberisation et offre une tragédie moderne à l’émotion croissante.

Infatigable, Ken Loach? Le cinéaste de 82 ans, requinqué par sa deuxième Palme d’or reçue en 2016 avec Moi, Daniel Blake, s’attaque ici à l’uberisation et aux effets dévastateurs de cette récente révolution économique. Sorry We Missed You suit Ricky, père de famille embauché comme chauffeur-livreur pour une entreprise de livraison à bas coût. Le vocabulaire qui entoure l’absence de contrat de travail souligne d’emblée les contradictions de la situation: Ricky est considéré comme travailleur à son compte mais loue son instrument de travail – une camionnette – à l’entreprise qui l’emploie et qui le soumet vite à une cadence infernale que le nouveau langage ne saurait masquer. Cette flexibilité des conditions de travail représente pourtant aux yeux de Ricky une opportunité inédite qui permettrait à son couple de devenir propriétaire et de payer ses dettes. Abby, l’épouse de Ricky, est quant à elle auxiliaire de vie et se doit d’être disponible pour ses patients à n’importe quelle heure de la journée.

En suivant les épuisantes journées de ces deux travailleurs qui rêvent d’un avenir meilleur pour leurs enfants mais dont le rythme de vie mine l’équilibre familial (leur fils de 16 ans traverse une grave crise d’adolescence et remet en cause l’autorité de son père), Ken Loach frappe fort. Après avoir exposé au cours de sa filmographie la disparition progressive de la solidarité ouvrière, le cinéaste montre comment l’individualisme rampant a atteint son stade ultime avec l’éclatement du salariat. Sous forme de course ininterrompue contre le temps et contre la précarisation, la caméra décortique l’emprise de ce nouvel esclavage que les protagonistes prenaient initialement pour un modèle vertueux. La montée en puissance dramatique met alors en lumière les impasses d’un système concurrentiel qui dissout tous les socles sociaux. La poignante séquence finale laissera le spectateur faire son choix quant au sort des personnages, manière pour Ken Loach d’en appeler une dernière fois à la collectivité dans un monde où elle commence à faire cruellement défaut.

DAMIEN LEBLANC