
Depuis au moins les films de Kenneth Anger, on sait le potentiel érotique et cinématographique des motards à moustaches. Le fantasme des corps à corps virils dans des nuits de cinéma, l’étrange ballet des corps entre domination et abandon. Premier long-métrage stupéfiant de maîtrise, Pillion prend lui un virage tout autre, assez inattendu. Il y a bien un colosse à la Kenneth Anger, l’attirail cuir et queer, la bécane qui rugit, l’érotisme d’une virilité exacerbée mais, tout ça téléporté comme dans un film de Nora Ephron.
Colin, jeune homme renfermé, chante des chansons de Noël dans un bar avec son groupe. Il croise le regard de Ray, apollon sculptural moulé dans une combinaison de moto. Quelque chose se passe, indicible, un contrat tacite. Un « meet cute » comme on dirait dans une comédie romantique. Et dans une ruelle sombre, le film de révéler son propos : Ray va soumettre Colin, faire de lui son esclave, son objet sexuel, son soumis. Une vénération, une adoration qui au départ crée un électrochoc. Mais là où La Secrétaire, sur le même sujet, se faisait exploration libidineuse du fantasme, Pillion lui fait de ces pratiques sexuelles une carte des sentiments. Si Ray domine, c’est que Colin veut se soumettre.
Un abandon de soi comme une éducation sentimentale que le réalisateur Harry Lighton filme avec précision en réussissant à être toujours au plus près de ses deux personnages. Et si le film dérange ce n’est pas dans ce qu’il montre d’une sexualité extrême (une scène de camping dont on se rappellera) mais par la manière dont ces scènes crus racontent la difficulté d’accéder véritablement à l’autre. Qu’est-ce qui se joue de l’amour dans l’abandon de Colin, dans la dureté de Ray ? En traitant ce couple très particulier par les tropes de la comédie romantique (la découverte de l’autre, la présentation aux parents, les doutes…), Pillion dépasse son sujet choc pour devenir une description du vertige du sentiment amoureux.
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Constamment, le récit surprend par sa douceur, sa façon de faire apparaître la tendresse dans des situations inattendues. Ce qui pourrait être scabreux devient touchant, ce qui devrait être touchant se révèle inquiétant. C’est toute la complexité émotionnelle, et parfois terrible, de ce qui se joue là à l’écran dans un regard, un geste, une attitude. La peur de se révéler pleinement à l’autre, d’être totalement soi, la peur de le laisser entrer, la peur de l’abandon. Derrière leur physique singulier, mis sacrément ici à contribution, Harry Melling et Alexander Skarsgard, assurent avec brio une partition périlleuse, fascinante car changeante, entre vulnérabilité et puissance. Un premier long impressionnant de maîtrise et d’assurance. Un Dom top, un vrai.