L’actrice, scénariste et réalisatrice, connue pour avoir co-scénarisé et joué dans Another Earth (2011) et la série The OA, a écrit un manifeste sur l’importance de la représentation des femmes dans la pop culture.
Publié dans le New York Times, le texte de Brit Marling, I Don’t Want to Be the Strong Female Lead (disponible ici), s’intéresse à la manière dont sont objectivées les femmes et comment ces regards construisent dans l’inconscient collectif un carcan dans lequel elles se retrouvent enfermées. Dans cette longue et passionnante diatribe, Brit Marling questionne la structure et la façon dont sont érigées les personnages féminins et s’interroge sur les moyens pour développer de nouveaux archétypes dans la culture populaire.
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Brit Marling commence sa tribune en revenant sur son parcours au sein de l’industrie du cinéma américain, où les rôles féminins proposées étaient pauvres et stéréotypés (être la copine de, avoir une forte poitrine…). En abordant le texte à travers son point de vue, l’autrice livre un témoignage fort sur la place du spectateur et celle de la spectatrice par le biais de l’identification à un personnage. Elle pose par exemple cette question pertinente : pourquoi les femmes sont systématiquement victimes de violences au cinéma ? Bien que des exemples de femmes fortes existent, à l’instar de Thelma et Louise (1991) de Ridley Scott, un destin funeste est réservé aux deux héroïnes. Ou alors ces strong women possèdent des « modalités masculines du pouvoir » et non des caractéristiques censées être féminines – « l’empathie, la vulnérabilité et l’écoute » – qui peuvent devenir une force, ajoute l’actrice et co-créatrice de The OA (annulée au bout de deux saisons, au grand regret des showrunners, Brit Marling et Zal Batmanglij).
Dans cette série Netflix, Brit Marling développait son attrait pour la fluidité des genres au sein d’une série complexe et sensitive construite autour d’un personnage principal féminin fort (l’Ange Originel incarnée par elle-même) pouvant faire communier les corps dans une harmonie absolue malgré l’environnement violent, comme dans la séquence finale de la première saison.
Brit Marling cite le personnage de Clarice Starling, interprété par Jodie Foster dans Le Silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme, comme l’un des rares exemples où l’héroïne (évoluant dans un monde patriarcal) ne subit pas de violences physiques.
Aussi réussi soit-il, la suite du chef d’oeuvre de Ridley Scott, Blade Runner 2049 (2017) de Denis Villeneuve, présente quant à lui un certains nombres de personnages féminins connaissant toutes une fin tragique (elles sont tuées, noyées, poignardées…).
À l’époque de sa sortie, Villeneuve s’était exprimé sur le sujet en déclarant à Vanity Fair que son film reflétait le sort réservé par la société aux femmes : « Le cinéma est un miroir de la société. Blade Runner ne parle pas de demain, mais d’aujourd’hui. Et je suis désolé, mais le monde n’est pas tendre avec les femmes. » L’intention de Villeneuve de ne rien édulcorer – surtout au sein d’une grosse production hollywoodienne – est certes louable mais elle tend, selon Brit Marling, à propager une certaine idée de la femme. Ce qui a pour effet de lui retirer tout pouvoir : « Lorsque nous tuons des femmes dans nos histoires, nous n’annihilons pas seulement corps. Nous annihilons le féminin en tant que force », défend-elle.
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Brit Marling s’interroge finalement sur une question fondamentale du regard. Quel point de vue impose-t-on aux spectateurs ? « Les histoires inspirent nos actions. Elles encadrent pour nous des existences qui sont et ne sont pas possibles, elles délimitent des pistes que nous pouvons ou ne pouvons pas choisir. Elles choisissent pour qui nous pouvons trouver de l’empathie et pour qui nous ne le pouvons pas. Ce que nous ressentons pour nos semblables, nous le protégeons. Ce que nous objectivons et marchandons, nous finissons par le détruire« , développe-t-elle.
Sans une once de manichéisme, le discours de Brit Marlin propose de nouvelles perspectives, à l’heure où l’on prend conscience des immenses dangers climatiques qui nous guettent : « Creuser, enseigner et célébrer le féminin à travers des histoires est, dans cette urgence climatique, une question de survie humaine. Quand nous commencerons à imaginer un nouveau monde et à le partager avec les autres par le biais de l’histoire, ce nouveau monde pourra réellement arriver. »
Image : Copyright Twentieth Century Fox France
Esteban Jimenez