Brian De Palma à l’Associated Press : « La narration visuelle a disparu »

Un entretien lucide et plutôt amer, dans lequel le réalisateur critique l’essoufflement de la machine hollywoodienne et sa pauvreté créative. Une interview de Brian de Palma, c’est un peu comme la sortie d’un nouveau film Terrence Malick – un événement rare qui se produit à la même fréquence que les éclipses, et qu’on guette donc


Un entretien lucide et plutôt amer, dans lequel le réalisateur critique l’essoufflement de la machine hollywoodienne et sa pauvreté créative.

Une interview de Brian de Palma, c’est un peu comme la sortie d’un nouveau film Terrence Malick – un événement rare qui se produit à la même fréquence que les éclipses, et qu’on guette donc toujours attentivement. Surtout que depuis que Domino, son dernier thriller géo-politique sur fond de terrorisme international, est sorti directement en VOD sans passer par nos salles de cinéma que le réalisateur semble un peu bouder. Une discrétion qui ne l’empêche pas d’avoir une vision toujours aussi critique de son métier.

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Il nous en a redonné la preuve à l’occasion de la sortie de son livre Les serpents sont-ils nécessaires?, polar glaçant sur les dérives de l’Amérique post-Trump coécrit avec la journaliste du New-York Times Susan Lehman, aussi son épouse, le réalisateur a dressé au détour d’une interview pour Associated Press un état des lieux implacable sur cette industrie qu’il juge de plus en plus superficielle, regrettant un âge d’or disparu de la mise en scène. Lucide, ou un peu réactionnaire, Brian De Palma ?

« Ce que font les cinéastes aujourd’hui n’a rien à voir avec ce que nous faisions dans les années 1970, 1980 et 1990 (…). Parce qu’ils sont tournés en numérique, les films sont affreusement éclairés. Je ne supporte pas l’obscurité, la lumière qui se réfracte (…). Susan et moi avons regardé Autant en emporte le vent l’autre jour. En le voyant, on est frappé par la beauté du film dans son ensemble. Les décors, la façon dont Vivien Leigh est éclairée, c’est tout simplement extraordinaire ». Avant de conclure par cette sentence irrévocable : « Aujourd’hui, la narration visuelle a disparu ». 

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Alors quels réalisateurs trouvent grâce à ses yeux, et savent manier les plans-séquences, étirer savamment la durée pour sculpter un suspens aussi efficace qu’haletant ? Voici sa réponse (pas très originale, mais inattaquable):

« Hitchcock sait comment faire. Je sais comment faire. Steven Spielberg sait comment faire. Stanley Kubrick sait comment faire. Il faut établir la géographie du lieu pour que le public sache où tout se trouve avant de lancer l’action, qu’il s’agisse de la collision de deux armées, d’une fusillade dans une gare ou de Cary Grant à un carrefour du Midwest. La clé, c’est qu’il faut tout ralentir. Si vous vous focalisez d’abord sur chaque fusillade que vous voyez, vous n’avez aucune idée de l’endroit où se trouve quoi que ce soit. Je l’ai dit mille fois et je pense que je suis le dernier à le faire. J’emporterai ça dans ma tombe ». 

Une dernière citation pour le voyage, avant de vous laisser découvrir par vous-mêmes cette interview piquante et savoureuse, qui prouve que De Palma manie aussi bien l’art de la punchline que celui du découpage. Lorsqu’on lui demande pourquoi il n’a pas voulu réaliser Mission Impossible II à la demande de Tom Cruise, il rétorque du tac au tac: « Je n’ai jamais été un réalisateur de film à gros budget, à faire gagner de l’argent. Ce qui est justement le grand problème d’Hollywood : sa corruption »

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