Axelle Ropert, critique de la méthode

Une fille «à la fois intelligente, espiègle et profonde.» Voilà le personnage qu’Axelle Ropert aimerait rencontrer davantage dans le cinéma contemporain. Voilà également trois qualificatifs qui siéent à son deuxième long métrage, Tirez la langue, mademoiselle, qui met en scène un duo masculin mis à mal par l’apparition de la rousse Judith (Louise Bourgoin). Boris


Une fille «à la fois intelligente, espiègle et profonde.» Voilà le personnage qu’Axelle Ropert aimerait rencontrer davantage dans le cinéma contemporain. Voilà également trois qualificatifs qui siéent à son deuxième long métrage, Tirez la langue, mademoiselle, qui met en scène un duo masculin mis à mal par l’apparition de la rousse Judith (Louise Bourgoin). Boris et Dimitri sont frères et médecins généralistes passionnés, ils exercent leur métier côte à côte et vivent l’un en face de l’autre. S’ils sont connus et appréciés dans le quartier – le XIIIe arrondissement parisien, qu’Axelle Ropert transfigure en fabuleux territoire romanesque–, les frères restent secrets dans le privé. «Mes personnages ne s’analysent jamais, ils sont un mystère pour eux-mêmes. Dans le cinéma contemporain, tout le monde pratique l’introspection. Mes héros ressemblent à ceux des westerns. Je ne vois pas John Wayne parler de lui-même, il en serait incapable.» À l’inverse de ses personnages, Axelle Ropert, venue au cinéma par la critique, exprime des idées claires sur ce qu’elle défend: «Zéro répétition, pas de travail en amont du tournage. Je ne suis pas partisane de l’épuisement, je préfère la spontanéité. Une scène tournée en dix minutes, je trouve ça super. Je n’aime pas le côté cinéaste hystérique qui épuise ses acteurs.» Une méthode donc, et une mise en scène qui va avec, subtil alliage de vague à l’âme et d’humour. Son moyen métrage, Étoile Violette, réalisé en 2004, donne le ton. Serge Bozon y joue un tailleur solitaire, qui prend des cours de littérature et finit par faire la rencontre de Jean-Jacques Rousseau himself. Le film fait déjà résonner une note singulière dans la description d’un quotidien d’abord morne puis emporté par un souffle mélancolique et aérien.«Je déteste l’esprit de sérieux, le tragique à deux balles. J’aime quand on sent que le cinéaste trouve de la légèreté, même dans les histoires tristes. Je n’aime pas du tout Bergman par exemple, je trouve ça atrocement plombé.» Deux ans auparavant, elle a signé l’écriture de Mods, le premier film de Serge Bozon, son éternel acolyte. Une histoire de frères, déjà, de musique garage et de danses saccadées. Le composite y est de nouveau de mise, tout comme dans La France (2006), qui renouvelle le duo Ropert/Bozon et revisite la Première Guerre mondiale sur fond de musique pop. Ensuite, elle réalise son premier long métrage, La Famille Wolberg (2009), un portrait de famille étrange, dont François Damiens est le patriarche despotique à qui tout échappe. Le film donne l’impression de chercher la bonne longueur d’onde, entre mélo familial et fantaisie indé sous influence Wes Anderson.

21016299_2013062716592763-jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Iconoclaste.

Avec Tirez la langue, mademoiselle, Axelle Ropert trouve un tempo parfait. On lui demande si cet équilibre est une affaire de duos, puisque sort aussi en septembre Tip Top de Bozon, dont elle a coécrit le scénario et qui place en son centre Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain, deux flics inséparables.«C’est vrai que j’aime beaucoup les duos électriques, davantage que les personnages solitaires. J’ai adoré adapter le livre de Bill James (Tip Top) et travailler sur ces femmes hors du commun, qui passent leur temps à se provoquer.» Tirez la langue, mademoiselle est plus doux que le film de Bozon, les frères se déchirant d’amour, sans l’agressivité comique des deux flics à fleur de nerfs. Car au milieu de Boris et Dimitri, la figure de Judith s’impose. Axelle Ropert dirige Louise Bourgoin vers un jeu discret, faisant de Judith une placide amoureuse qui accuse sans broncher la fatigue de sa vie nocturne de barmaid et les assauts – certes timides – de ses prétendants. «J’avais perçu le côté mystérieux de Louise, que je trouvais mal exploité. Judith est impavide, souveraine. Je la trouve très séduisante comme ça, dans son calme. J’adore les actrices vives, mais je n’aime pas l’hystérie dont on affuble souvent les filles.» À ce moment là de la rencontre, on est convaincu que ce mélange délicat qu’elle décrit lui va autant qu’à ses films et à la façon dont elle parle du cinéma. Douceur, légèreté et une intelligence malicieuse, loquace, ouverte. Ses prochains films, en écriture, promettent de poursuivre sur ce même accord: deux histoires de filles, l’une aveugle, l’autre princesse lesbienne du XVIIIe siècle. Des héroïnes qu’Axelle Ropert rêve libres, multiples, iconoclastes.

Tirez la langue, mademoiselle
d’Axelle Ropert (1h42)
avec Louise Bourgoin, Laurent Stocker…
Sortie le 4 septembre