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Asia Argento, quelle cinéphile es-tu ?
- Josephine Leroy
- 2017-07-06
Dans l’atelier d’un artiste à Saint-Ouen, elle multiplie les interviews. En l’attendant, on regarde la vidéo d’une performance chrétienne étrange où se mêlent entre autres les corps de Bertrand Bonello et Emma de Caunes. Puis elle entre, vêtue de noir, une clope pendue aux lèvres et évoque avec nous ces prières collectives que Bob Dylan, à qui elle voue un culte, exhortait en concert tel un messie. Elle enchaîne en nous parlant de ses albums chrétiens – qu’elle appelle ceux de la « compassion » – (« Saved » (1980), « Slow Train Coming » (1979) et « Shot of Love » (1981)), obsession transmise par sa mère depuis sa tendre enfance. Fanatique, Asia Argento ? Illuminée, peut-être, ce qui fait que, quand elle répond à notre questionnaire, on l’écoute dans un silence religieux.
Tes trois films préférés ?
Freaks (1932) de Tod Browning, parce qu’il fait de la différence une force, un atout. Puis Garçonne (1980) de Dennis Hopper. C’est le meilleur film des années 1980, un film d’une anticipation folle. Je me souviens qu’il avait failli ne pas sortir… Enfin, L’Homme qui rit (1928) de Paul Leni, l’adaptation du roman de Victor Hugo. C’est l’histoire d’un homme poursuivi par la meute et qui doit sourire sans défiger son visage. Comme le film est muet, ce côté fixe du sourire le rend encore plus mélodramatique. Le mélo, ça peut être très beau. Pour moi, ces trois films disent tout, sans même qu’un mot soit nécessaire.
Décris-toi en trois personnages de fiction.
Ce n’est pas un personnage, mais tant pis. Je serais une chanson, « Daughter of Darkness » de Tom Jones. Elle est très puissante, elle parle d’une fille qui ne peut pas être sauvée, qui est destinée à vivre l’enfer. Et puis un personnage que j’ai joué au théâtre : la chercheuse Rosalind Franklin, qui a découvert l’ADN et qui est morte sans avoir gagné le prix Nobel. Je me suis mise dans sa peau, je pleurais pour les mêmes raisons qu’elle, pour cette frustration de ne pas pouvoir atteindre mes ambitions parce qu’on m’en empêche. Je me cachais pour pleurer tous les soirs. En troisième, je pense à Anna Karénine, l’héroïne de Tolstoï, pour sa façon de s’abandonner à l’émotion, à l’amour.
Trois personnages avec qui tu partirais en roadtrip.
C’est un personnage en un sens : mon mec. Il voyage partout, donc je ne vois qui, mieux que lui, pourrait me faire découvrir des endroits fabuleux? J’avoue que c’est un choix facile. En soi, je suis assez solitaire, je ne suis pas vraiment du genre à partir faire un roadtrip, je n’ai même jamais dormi dans une tente de ma vie. Pour Syd Barrett, je ferais une exception, parce qu’il est fou et que je m’y retrouve bien. Et si Bob Dylan me le demandait, j’irais où il irait. Je nous imagine dans les Pouilles, dans le sud de l’Italie et la poussière volerait, se déposerait sur nous. Je l’écouterais et je me tairais.
Trois films que tu aurais adoré vivre.
Les 400 coups de François Truffaut, parce que mon enfance ressemblait véritablement à ça, c’était ma vie. Les Amants du Pont-Neuf (1991) de Leos Carax. Le sentiment amoureux envahit tellement l’espace qu’il devient la raison pour laquelle on survit. Comme dernier choix, Sailor et Lula (1990) de David Lynch, pour l’amour extraordinaire que Lula éprouve pour Sailor. J’aime bien l’amour.
Trois bandes-originales obsédantes ?
La musique de Nino Rota dans Tobi Dammit ou Il ne faut jamais parier avec le diable (1968) de Fellini. Kurt Cobain avait écrit ces mots sur sa lettre de suicide. Ensuite, je dois dire d’abord que j’ai limite envie de casser la gueule d’Arnaud Desplechin pour Les Fantômes d’Ismaël, son dernier film, et que j’exige de récupérer deux heures de ma vie. Mais je vais l’épargner pour une seule raison : la scène où Marion Cotillard danse follement sur le titre « It Ain’t Me Babe » de Bob Dylan. C’est un moment magnifique.
Trois scènes aussi indélébiles que tes tattoos ?
C’est sur un tournage où j’ai été : il y avait une comédienne qui jouait un personnage suicidaire. L’actrice devait sauter d’une hauteur de 3 mètres à peu près. Elle est tombée parce que le filet n’a pas tenu. Je rassure ceux qui verront ça, elle n’est pas morte, elle s’est juste blessée. Mais c’est un vrai traumatisme. Après, il y a cette scène de crucifix dans le vagin dans L’Exorciste (1973) de William Friedkin : mais… pourquoi ?! En dernier, Les Frissons de l’angoisse (1975) de mon père, que j’ai vu jeune et qui contient des scènes assez hard. On y voit une gorge tordue par des mains fermes avec du sang qui jaillit. Les effets spéciaux datent des années 1970, ils sont très primaires, mais c’est peut-être ça qui fait qu’on a encore plus peur.
Un film que tu ne peux pas regarder plus de trois minutes ?
Le film d’Arnaud Desplechin, fuck this movie. Attention, je n’ai rien contre lui, mais je crois aux fantômes, moi. Et là, il n’y a pas de fantôme, il n’y a que du paluchage.
Trois acteurs/trices qui t’inspirent.
Isabelle Huppert, Luca Marinelli – le plus bel acteur italien, je tombe devant sa beauté – et Gian Maria Volonté.
Trois films punks qui te bousculent.
L’Ange de la vengeance (1982) et aussi Driller Killer (1979) et New Rose Hotel (1999) d’Abel Ferrara. C’est LE vrai punk, il n’y aucun calcul.
Tes trois films de jeunesse.
Stand By Me (1987) de Rob Reiner, avec River Phoenix. Ensuite, Les 400 coups de Truffaut, que j’ai déjà cité, et enfin L’Incompris (1966) de Luigi Comencini. Mon dernier film, L’Incomprise (2014), réfère clairement à ce film. Je crois que l’enfant incompris, qui se construit son propre monde, est une figure universelle.
Les trois réalisateurs qui seraient autorisés à faire un biopic sur ta vie.
Mes amis : Bertrand Bonello, Abel Ferrara et Olivier Assayas ou Gaspar Noé parce qu’ils me connaissent parfaitement. Ils feraient des trucs complètement différents mais assez justes je pense.
Les trois films de ton père les plus fous ?
Inferno (1980) et Suspiria (1977) parce qu’il parle du monde des sorcières, de la magie noire, d’une façon inédite, sensorielle. Je choisirais aussi Les Frissons de l’angoisse, parce qu’il plonge dans le subconscient, il sort de terre ces choses qui sont trop lourdes et que tu renies. Il utilise cette matière psychanalytique dans son art. Les assassins sont des fantômes qu’on ne voit pas, on ne les découvre qu’ensuite. Je lui ai demandé comment il avait fait pour produire un effet pareil. Il m’a répondu qu’il savait que les spectateurs ne remarqueraient rien. Ça, ce sont de vrais fantômes.
»Les nuits du Salò », en partenariat avec l’Agence D/S et Nuun Records
Shadow de Pascal Greco et Philippe Pellaud
Sortie fin 2017 en LP + Blu ray (Nuun Records)
Carte blanche à Asia Argento à Salò
Du 6 au 8 juillet