« D’abord, il faut dire que mes parents étaient de grands fumeurs devant l’Éternel… Agnès se roulait des cigarettes quand elle était jeune, les pêcheurs de la Pointe courte, à Sète, le lui avaient appris. Ensuite, dans mon enfance, elle fumait des Peter Stuyvesant rouge ou bleu avec filtre, plus d’un paquet par jour… Souvent, sur les tournages, elle allumait deux cigarettes en même temps, ne se rappelant pas qu’elle en avait déjà une aux lèvres ! Le premier assistant avait comme mission d’en éteindre une. Jacques, lui, c’était des Pall Mall rouge, je me rappelle encore la publicité : “The smoothest taste from the U.S.A.” Amusant, car ensuite on a habité à Los Angeles deux années… Ils fumaient dans la voiture et même dans l’avion ! On l’a oublié, mais beaucoup de personnes fumaient, et partout. Revenons à cette photographie et à cet instant arrêté du tournage du film d’Agnès, Les Créatures, entre septembre et octobre 1965 sur l’île de Noirmoutier.
Sur la plage du bois de la Chaise, Agnès, la clope au bec, dirige la scène. Trois hommes regardent dans la même direction qu’elle. À droite, Willy Kurant, le directeur de la photographie ; derrière Agnès, Michel Legrand ; . Je ressens la tension de la scène et comment Agnès, telle une cheffe d’orchestre, envoie son énergie aux acteurs.
Nos trois hommes et les autres personnes autour paraissent intrigués ou surpris. Qu’est-ce que la caméra filme ? On le saura lorsque nous redécouvrirons le film dans une version restaurée, en 2023 ! Ce film étrange, en noir et blanc avec des séquences en couleur, nous raconte l’histoire d’Edgar (Michel Piccoli) et de Milène (Catherine Deneuve), qui vivent reclus. Ils ne peuvent pas dialoguer – elle est muette.
Ils s’aiment, et leur amour va donner vie à un enfant. Au hasard de ses promenades, Edgar rencontre des personnages quotidiens qui deviennent, transformés ou imaginés, les “créatures” de son roman, les pions d’un jeu d’échecs qu’il invente. Mais bientôt les créatures prennent vie, au cours d’une partie dans laquelle il va devoir défendre ses convictions mais aussi son amour. Il y a une énergie dans cette photographie que j’aime beaucoup ! »
P.-S. : Agnès a arrêté de fumer en 1972, quand elle a été enceinte de Mathieu Demy.