ARCHIVE · Rosalie Varda nous raconte l’ovation de « Visages villages » à Cannes

Chaque mois, pour TROISCOULEURS, Rosalie Varda nous raconte ses souvenirs liés à ses parents, les cinéastes Agnès Varda et Jacques Demy. Ce mois-ci : l’ovation faite à l’équipe de « Visages villages », coréalisé par Agnès Varda et JR, après sa projection hors Compétition au Festival de Cannes, en 2017.


41f4b4c8 9ab5 4545 825a 168a8c0082a5 vardaovation

Le Festival de Cannes 2017, cela a bien sûr commencé par une sélection officielle. On avait tellement travaillé pour soumettre Visages villages à Thierry Frémaux dans les temps. J’étais à Ibiza pour quatre jours pour reprendre des forces, anxieuse, comme tous les producteurs dans cette situation, dans l’attente de sa réponse. Le mercredi 12 avril 2017, dans un café envahi par le bruit d’un match de foot à la télé, j’étais totalement hypnotisée par les cris des supporteurs. Vers 23 heures, je vois mon portable sonner : c’est lui ! Je sors du café. Il entend les supporteurs et me demande quel match je regarde… je ne sais plus… Ouf ! on est sélectionnés ! hors Compétition, car c’est le cas de tous les documentaires à Cannes. Je me suis sentie aussi épuisée que si j’étais un des joueurs de foot après le match.

Agnès Varda débarque sur Netflix : dans quel ordre voir les 7 films ?

Le Festival arrive… quelle journée ! quelle soirée ! Agnès, dans la voiture officielle avec JR, le prévient : « Tu vas voir, c’est impressionnant, cette salle de cinéma. Et puis le public, il est vivant, il est là, avec ou sans toi. » Ce tapis rouge qui fait tant rêver… Tous les photographes appellent Agnès, si fragile, avec tant de tendresse… Je sens sa main qui tremble. Ces escaliers qu’elle doit monter, ils sont hauts, ils sont beaux. Je me rends compte que l’on s’est habillées pareil (et je me dis que c’est idiot qu’on n’y ait même pas vraiment réfléchi !) – avec des fleurs, une tenue un peu hippie. Pas des robes du soir. J’ai même un sac à main que je porte tous les jours… Pas coiffée… J’étais tellement inquiète pour elle, pour l’équipe…

La salle l’ovationne, une chaleur humaine, une communion nous envahit. Tous ces gens applaudissent une cinéaste libre, une femme extraordinaire par sa curiosité des autres, une artiste qui chaque fois nous étonne, la seule à avoir reçu les plus grandes récompenses du cinéma : un César d’honneur, une Palme d’honneur, et bientôt un Oscar d’honneur, qui lui sera remis en novembre 2017. Ils n’applaudissent pas JR ni nous… Elle tremble, me regarde. Je lui dis : « C’est pour toi ; c’est pour ton travail. » Je suis fière d’elle, et fière d’avoir été à ses côtés toutes ces dernières années, avec notre équipe fidèle de Ciné-Tamaris. 2 300 personnes s’apprêtent à regarder un documentaire commencé comme un court métrage, une expérience avec son malicieux complice JR et avec Matthieu Chedid comme compositeur. C’est impressionnant. À la fin, les applaudissements sont si forts, si chaleureux. Mon frère, Mathieu, et JR l’entourent, l’embrassent. Elle m’embrasse, me dit merci et s’assied, se cache le visage. Ses larmes coulent. Et moi, en écrivant ces mots, je pleure. Agnès aimait dire : « Les souvenirs sont comme des bulles qui remontent. ». Mon Dieu, que les bulles remontent ! C’est du champagne ! Ou c’est comme ces petites bouteilles avec de l’eau savonneuse pour faire des bulles qui explosent dans l’air !

À Cannes, la Salle du Soixantième s’appellera désormais la Salle Agnès VardaARCHIVE : Rosalie Varda nous raconte le tournage des « Parapluies de Cherbourg »

Mon premier Festival de Cannes, c’était en 1977. Jacques Demy était membre du jury. Roberto Rossellini présidait la cérémonie. Les frères Taviani ont gagné la Palme. Je me souviens des soirées au Blue Bar, juste à côté de l’ancien Palais des festivals. Mon deuxième, c’était après la mort de Jacques, en 1991, avec un hommage que je ne me rappelle plus tellement je pleurais, avec la projection de Jacquot de Nantes, et ses actrices sur scène pour le saluer. Nous voilà en 2000, avec Les Glaneurs et la Glaneuse, documentaire d’Agnès – hors Compétition donc.

Notre Agnès, pimpante, fait une jolie leçon de cinéma avec ce jouet d’enfant qui l’accompagne, un petit oiseau qui sifflote quand elle s’arrête… Toujours cette fantaisie qui permet de ne pas se prendre trop au sérieux. 2001 : je commence à travailler pour le Festival de Cannes, une belle aventure qui a duré dix-huit ans. Le 25 mai 2016, Agnès reçoit sa Palme d’honneur. Son discours est si percutant, sur la diversité du cinéma et l’importance du cinéma d’auteur. Je me souviens des techniciens en coulisses, émus aux larmes, et de Thierry, si heureux. Le 15 mai 2018, pendant la montée des marches des quatre-vingt-deux femmes, Cate Blanchett et Ava DuVernay entourent Agnès, que l’on ne voit pas car elle est trop petite ! On en rit longtemps ensemble. En 2019, Agnès venait de nous quitter. Viggo Mortensen parle d’elle dans son discours lors de la cérémonie de clôture. Je ne m’y attendais pas du tout ! Je me suis mise à sangloter, alors que j’avais réussi à ne pas pleurer devant l’affiche du Festival sur laquelle je la voyais partout depuis mon arrivée… J’ai vécu toute ma vie avec le plus grand festival du monde, quelle chance ! Viva il cinema et bonne 75e édition ! 

Damien Chazelle animé par l’esprit de Jacques Demy sur une photo signée JR

Image: Rosalie et Agnès Varda par © Laurent Laborie