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Apichatpong Weerasethakul évoque son travail avec Tilda Swinton pour « Memoria »
- Léa André-Sarreau
- 2020-02-17
Le réalisateur thaïlandais a déclaré que le rôle de cette botaniste écossaise confrontée à des visions lors d’un voyage en Colombie lui a été inspiré par la comédienne.
Un visage diaphane, toujours prêt à passer de la mélancolie à la fermeté, une silhouette évanescente qui disparaît au détour d’un plan : Tilda Swinton avait tout pour se frayer une place dans l’univers ésotérique du cinéaste, peuplé de fantômes du passé. On s’étonne que ces deux outsiders (Apichatpong Weerasethakul a toujours refusé de se plier au cinéma commercial dicté par les studios, Tilda Swinton a soigneusement choisi des rôles marginaux à Hollywood) ne se soient pas rencontrés plus tôt. Leur première collaboration avec Memoria, drame tourné en langue anglaise dans le paysage colombien, risque donc d’être un petit bijou introspectif, brassant des mythologies ancestrales comme dans Tropical Malady ou convoquant l’âme des morts comme dans Cemetery of Splendour.
Si l’on connaît déjà l’intrigue de Memoria – l’histoire d’une botaniste écossaise, spécialiste des orchidées, partie retrouver sa soeur à Bogota en Colombie, et confrontée à des images et des sons troublants qui remettent son identité en question, voir notre résumé ici -, Apichatpong Weerasethakul a évoqué l’ambiance de son film au journal La Tempestad, et notamment son travail fusionnel avec la comédienne : « On la verra beaucoup déambuler comme un fantôme (…). J’ai écrit ce film en pensant à elle, en sachant que c’est quelqu’un qui n’a pas besoin de beaucoup d’indications de jeu. En fait, c’est elle qui m’a inspiré ce personnage. »
Tournant pour la première fois un film en langue anglaise et hors des paysages sauvages de sa Thaïlande natale, le réalisateur, qui s’intéresse beaucoup à l’histoire et la culture des pays d’Amérique Latine, a vécu cette expérience nouvelle comme un véritable déracinement qui a ouvert ses sens : « Ici, j’ai joué le rôle d’un fantôme à la dérive, absorbant les mouvements, les lumières et les sons ». Bien-sûr, Memoria se présentera aussi sous la forme d’une quête archéologique dans le passé politique colombien (« J’ai voulu tout connaître des origines de la violence et de l’histoire de la colonisation dans ce pays, peut-être pour comprendre ce qui se passe dans le mien. En même temps, je sais que c’est impossible de faire un film véritablement local (…). Je montrerai donc un point de vue étranger », avait-il déclaré), mais ne sera pas non plus un pamphlet : « Je suis conscient de l’historique politique, bien sûr, mais je suis heureux de voir ce qu’il en reste. Le film n’est pas présenté comme politique. » Ce qui est sûr, c’est que Memoria sera, toujours la veine onirique du réalisateur, une dérive dans les limbes du souvenir, avec cette fois-ci une sensibilité plus urbaine.