Adrien Brody : « Ce film, c’est une façon d’honorer les sacrifices de mes grands-parents »

[INTERVIEW] Il est stupéfiant dans le monumental « The Brutalist » de Brady Corbet (en salles le 12 février, et Lion d’argent à la dernière Mostra de Venise), grande épopée tragique sur un architecte juif hongrois rescapé des camps, qui s’installe aux Etats-Unis et fait face à la violence de la société capitaliste. Comme habité par des fantômes, l’acteur américain, corps longiligne frêle et regard mélancolique, impressionne par son jeu fin, sensible. Entretien express avec celui qui a de grandes chances de remporter l’Oscar du meilleur acteur le 3 mars prochain.


Adrien Brody dans The Brutalist de Brady Corbet © Universal Pictures
Adrien Brody dans The Brutalist de Brady Corbet © Universal Pictures

Beaucoup ont relevé les échos entre votre personnage de pianiste virtuose polonais dans Le Pianiste de Roman Polanski (2002), pour lequel vous aviez perdu 14 kilos, et ce rôle d’architecte hongrois, tous deux rescapés de la Shoah. Comment avez-vous approché ce nouveau rôle de génie maudit ?

C’est un personnage très complexe. La beauté du scénario de The Brutalist, c’est qu’il montre une personne très humaine, imparfaite. C’est extrêmement difficile pour lui de surmonter ce qu’il a enduré durant la Seconde Guerre mondiale, l’oppression nazie, puis de venir aux Etats-Unis et tenter de recommencer sa vie. Ça témoigne de la puissance de l’esprit humain, et de la capacité à faire prévaloir une certaine légèreté au milieu de toute cette obscurité.

Du côté de votre père, vous avez des origines juives polonaises, et du côté de votre mère, des origines hongroises. Avez-vous senti avec ce rôle que vous vous reconnectiez avec une partie de votre histoire familiale ?

Absolument. J’ai ressenti cette connexion toute ma vie. Ce qui était beau dans le fait d’incarner Laszlo, c’était cette opportunité de rendre hommage au trajet assez similaire de mes grands-parents maternels et de ma mère, des Hongrois qui ont immigré aux Etats-Unis dans les années 1950 pour quitter les horreurs de la guerre en Europe [son grand-père maternel venait d’un milieu aristocratique hongrois catholique, tandis que sa grand-mère maternelle, née à Budapest, venait d’une famille tchèque juive, ndlr].

C’est très significatif pour moi de pouvoir parler de ça, de pouvoir conjuguer un dialecte qui rappelle celui de mon grand-père. C’est une façon d’honorer les sacrifices qu’ils ont faits pour que je puisse grandir aux Etats-Unis, avoir autant d’opportunités, vivre ma carrière d’acteur… Tout ça n’aurait pas été possible sans qu’ils luttent et persévèrent face aux difficultés.

Le film interroge la notion de « chef d’œuvre ». Qu’est-ce que ça veut dire pour vous ? Et quelle œuvre serait digne de ce titre ?

Un chef d’œuvre, c’est la combinaison de beaucoup d’éléments magiques qui doivent être réunis. Souvent, vous disposez de la plupart de ces éléments, mais il y a des obstacles insurmontables qui empêchent le travail d’ensemble d’atteindre une reconnaissance.

Je pense à ce que Brady [Corbet, ndlr] a réussi à accomplir, avec des ressources et un temps limités, en tournant en pellicule et en VistaVision, qui est un outil très spécifique, presque obsolète [un procédé de prise de vues sur pellicule 35mm, lancé par la Paramount en 1954. Il permet un défilement des images à l’horizontal, un champ de vision plus large. Cet outil a notamment été utilisé par Alfred Hitchcock dans les années 1950, ndlr].

Il avait une capacité à pousser chaque équipe, chaque département – la musique, la production, les merveilleux acteurs… C’est tout l’art de raconter des histoires dans l’espace du cinéma indépendant. Il a vraiment élevé le cinéma avec ce film. J’ai donc envie de dire qu’il a réussi à faire une œuvre magistrale. Et je suis très reconnaissant et honoré d’en faire partie.

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Adrien Brody dans The Brutalist de Brady Corbet © Universal Pictures
Adrien Brody dans The Brutalist de Brady Corbet © Universal Pictures

Vous n’êtes pas architecte mais il me semble que vous êtes peintre. Qu’est-ce que vous peignez ? De quels artistes vous sentez-vous proche ?

J’aime bien cette question. Je passe une bonne partie de mon temps libre – ou le peu que j’en ai – à créer et travailler mon art. Je peins, je fais de la musique… J’ai besoin de m’impliquer dans quelque chose de créatif. Ma peinture a évolué, elle est devenue plus texturée, stratifiée. Je fais souvent du figuratif, et je passe le plus clair de mon temps à créer des couches, à travailler l’arrière-plan. Des artistes comme Basquiat m’ont influencé. Je pense que ça a beaucoup à voir avec ma vie, au fait que j’ai grandi à New-York [dans le Queens. Sa mère, la photographe Sylvia Plachy, lui a fait côtoyer le milieu artistique new-yorkais dès son jeune âge, ndlr], dans la culture du graffiti.

: The Brutalist de Brady Corbet (Universal Pictures France, 3h34), sortie le 12 février