Fraîchement arrivées en quatrième, Emma et Anaïs regardent, un brin anxieuses, leur professeure principale déclarer que le temps de l’enfance est révolu. À ces mots, l’adolescence des deux Brivistes semble s’amorcer – une période caractérisée par la relation complexe qu’elles entretiennent avec leur mère respective, les premiers émois amoureux, mais aussi la voie professionnelle à emprunter. Bientôt, la volubile Anaïs, portée par une inégalable rage de vivre, se frotte aux réalités du bac pro, alors que sa nonchalante et rêveuse amie Emma s’interroge sur le choix délicat des études supérieures. Quatre ans après Les Vies de Thérèse, bouleversant documentaire qui accompagnait les derniers jours de la militante féministe Thérèse Clerc, Sébastien Lifshitz choisit de sonder une période pendant laquelle les idées balbutient, où toutes les routes peuvent encore être tracées.
Logé dans les interstices et les rituels de la vie d’Emma et de celle d’Anaïs, il livre un portrait furieusement intime d’existences en construction. S’y déploie la poésie du quotidien – nourrie des répétitions de l’emploi du temps et des éclats de la vie familiale – et de ces choses qui ne seront plus jamais les mêmes. Si les deux amies se servent de la démarche de Lifshitz pour se révéler à elles-mêmes, s’engage aussi un questionnement sur les déterminismes sociaux (Emma et Anaïs sont issues de milieux opposés) comme sur leur rapport à la société française – que le cinéaste explore dans tous ses travaux, à l’image des Invisibles (2012) dans lequel témoignaient des femmes et des hommes homosexuels nés dans l’entre-deux-guerres et ayant lutté pour leurs libertés –, ici gangrenée par la menace terroriste après les attentats de 2015. Les évolutions sociétales et l’inégalité des chances qui se dresse entre Emma et Anaïs auront-elles raison de leur amitié ?
Porté par un rapport presque symbiotique à ses sujets, Sébastien Lifshitz va au-delà du dispositif cinématographique et devient le passeur de morceaux de vie choisis, comme en écho à son impressionnante collection de photos vernaculaires – récemment présentée au Centre Pompidou –, témoin de milliers d’existences auxquelles il souhaite à tout prix donner une place.