
Le film a reçu le prix du meilleur court métrage documentaire aux César 2025.
Dans El Agua, son beau premier long métrage, Elena López Riera se penchait déjà sur la manière dont les récits nous façonnent. Face caméra, elle interrogeait les anciennes de son village natal d’Orihuela, dans le Sud espagnol, sur une vieille légende locale, une prétendue malédiction qui venait encombrer l’épanouissement d’une jeune fille.
On retrouve ici le même dispositif documentaire, celui des aînées qui se racontent en gros plan, guidées par les questions de la cinéaste. Celle-ci explique être bloquée, ne pas pouvoir poser certaines questions à sa mère. Elle va alors les poser aux femmes qui ont l’âge de celle-ci ou celui de sa grand-mère, comme pour rompre cet empêchement de la parole.
C’est ce qui sidère en premier dans Les Fiancées du Sud : pourquoi a-t-on si peu entendu les femmes de ces générations s’exprimer sur leur rapport à l’intime ? Pourquoi cette transmission ne s’est pas faite ? Et qu’est-ce que cette non-communication nous fait aujourd’hui ?
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Le film a ça d’émancipateur qu’Elena López Riera laisse le récit de ces femmes se déployer sans retenue, jusque dans ses tremblements ou ses heurts – c’est ce qui leur donne une vitalité, une puissance folle quand bien même certaines des personnes filmées ont plus de cent ans. Première fois, mariage, infidélité, passion, masturbation, usure du sentiment, rapport aux enfants, avortement… Beaucoup de sujets sont brassés librement, captés avec tact, complicité, aussi une forme de malice avec laquelle la cinéaste pose les enjeux.
Il est émouvant de sentir qu’elle se projette en chacune de ces vieilles femmes, mesurant ce qui les sépare, ce qui les rapproche. C’est aussi de cette façon qu’elle investit des images d’archives du mariage de sa mère, qu’elle commente en off, au-dessus d’un bruit blanc, d’un silence vibrant qui leur donne une dimension fantomatique, insaisissable.
Au montage elle détache, isole des fragments d’images qui interrogent les gestes de ce rituel auquel elle ne s’adonnera pas – elle dit rompre une chaîne, celle des femmes qui se marient, puis qui ont un enfant. Mais avec ce film elle en crée une nouvelle, celle de ces récits qui pourront désormais être légués, perpétués, réappropriés.