À voir en ligne : le nouveau court métrage rageur et entêtant de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

Bébé colère, sublime dernier court métrage de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Jessica Forever, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe), produit par la Fondation Prada dans le cadre de la collection Finite Rants, met en image le journal intime d’un bébé toon espiègle qui vrille en prophète de l’apocalypse. Sa redoutable complainte, emplie


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Bébé colère, sublime dernier court métrage de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Jessica Forever, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe), produit par la Fondation Prada dans le cadre de la collection Finite Rants, met en image le journal intime d’un bébé toon espiègle qui vrille en prophète de l’apocalypse. Sa redoutable complainte, emplie de spleen et de nihilisme, fait jaillir des visions subjuguantes de l’imaginaire riche et sombre des cinéastes.

Y aura-t-il meilleur symbole de l’année 2020 que ce bébé colère ? Pas sûr. À travers le petit dernier du couple Caroline Poggi-Jonathan Vinel perce l’idée d’une jeunesse déboussolée, qui tourne en rond et se réconforte en cuisinant des petits plats (ici la protagoniste se console avec un brookie, c’est-à-dire un brownie surmonté d’une couche de cookie) tandis que la colère monte. Leurs précédents films distillaient déjà ce sentiment-là, encore plus prégnant en cette époque de pandémie. Hasard ou pas, Jonathan Vinel nous parlait d’ailleurs déjà de virus en 2019 en évoquant leur long Jessica Forever : « Pour moi, la violence, c’est un virus qui est là dans le monde, et tu l’attrapes ou pas. »

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Leur dernier court métrage est comme un poème à la candeur noire sur un petit monstre qui pour le coup, est bien contaminé : une fillette en 3D, façon Pixar, aux yeux vides et fous, qui surgit dansant dans un flicker en noir et blanc. Ce dark toon n’a pas de nom, plus de parents, pas d’attaches, juste un appétit dévorant pour le sang et la destruction. Volontiers terroriste, l’enfant terrible organise crash d’avions et pulvérisations d’hôpitaux avec sa seule amie, une petite étoile souriante. Mais celle-ci meurt et la laisse seule dans un spleen douloureux, qu’elle traîne dans des ruines, celles des villages d’origine des deux cinéastes, qui apparaissent eux-mêmes dans le film comme des compagnons rêvés – toujours cette belle idée chez eux de la communauté comme salut et comme fin.

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Le bébé colère multicolore est ainsi incrusté comme une anomalie ou une hallu hypertrophiée dans ces paysages désolés, saisis nets, à cru. Puis, il se fond dedans, bizarrement, on s’y habitue. Comme à sa férocité qui sourd sur une musique hardcore ou sur des sons magiques et scintillants de dessins animés lorsqu’elle cite des passages du Bréviaire du chaos, un chant en prose du penseur et poète Albert Caraco, conspuant l’humanité et prédisant une catastrophe.

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C’est là que l’imaginaire de Poggi et Vinel renverse, il se compose de plusieurs couches, laissant toujours apparaître de nouvelles formes. Comme ces natures mortes ultra contemporaines et furtives qui répandent un vague à l’âme, un sentiment d’innocence perdue: un plan tourmenté de Monster Munch se dissolvant dans une flaque d’eau, un autre trouble d’emballage de Kinder Bueno volant au vent… Très vite on bascule de la rêverie à l’horreur, de la furie à une grande mélancolie. On pense alors aux cauchemars inquiets de la regrettée Suzan Pitt, qui savait se faire côtoyer zones dépressives et douceur enfantine dans ses films d’animation, et même parfois carrément à ces vidéos de complotistes sur Youtube où les Télétubbies ou Dora l’exploratrice sont présentés comme des symboles illuminatis ou satanistes. Au final, l’alerte rageuse du bébé colère se double d’un autre écho. Celui d’un cri de ralliement de Poggi et Vinel pour qui aime les gâteaux trop sucrés et le cinéma qui fait tourner la tête, d’impressions bizarres en sentiments contraires. 

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