À voir absolument sur Arte : « Petite fille » de Sébastien Lifshitz

Dans ce portrait poignant sorti en 2020, le documentariste Sébastien Lifshitz nous immisce avec une grande délicatesse dans le combat d’une petite fille trans et de sa famille, sans cesse ramenées à un mépris injuste mais tenace. À revoir sur Arte en ce moment.


Nord de la France. Dans sa chambre, à l’abri de la violence du monde extérieur, une petite fille vêtue d’un top brillant, ajouté par dessus son t-shirt couleur lilas, habille ses cheveux d’un bandeau à pois et son cou d’un collier de perles. Sous une lumière tamisée apaisante, la coquette Sasha, 7 ans, n’a pas à se justifier de qui elle est. Depuis ses 3 ans, elle le sait, elle le sent : même si elle est née dans un corps de garçon, elle est une fille. Une petite fille épaulée par sa famille, et notamment Karine, sa mère, qui tout en se confiant sur ses propres doutes en tant que parent, se bat au quotidien pour faire valoir les droits de son enfant.

Sébastien Lifshitz, mauvais genre

Après Adolescentes, chronique à la fois drôle et mélancolique qui suivait deux copines de leurs 13 à 18 ans, Sébastien Lifshitz revient avec ce documentaire à fleur de peau diffusé en ce moment sur Arte. Avec toute la simplicité et la finesse qui caractérisent son cinéma, le réalisateur (qui a notamment signé en 2012 Les Invisibles, documentaire sur les souvenirs de personnes gays et lesbiennes du troisième âge qui se remémorent leurs combats) poursuit un chemin tracé depuis plusieurs années : par un prisme intimiste, il met en en lumière les fêlures d’individus marginalisés, maintenus dans l’ombre par la société. 

BÂTONS DANS LES ROUES 

En se positionnant cette fois à hauteur d’enfant, Lifshitz oppose l’innocence de Sasha à la dureté des figures d’autorité qui jalonnent son parcours de petite combattante. Face à l’enfant, le médecin de famille s’avoue incompétent. Quant au directeur d’école, il insiste pour qu’elle vienne en cours habillée en garçon. À la fin du film, la mère de Sasha rapporte qu’une prof de danse a été, dans une scène d’humiliation atroce, jusqu’à évacuer de force la petite fille de la salle de cours.

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Entre l’ignorance, le déni et le rejet ostensible, difficile de dire ce qui est le pire : les trois reflètent une indifférence générale qui donnent parfois à cette quête de reconnaissance un côté désespéré. Mais cet aspect est sans cesse contre-balancé par l’entêtement de Sasha et de sa mère, force motrice du film, qui les mèneront à la rencontre d’une pédopsychiatre spécialiste de la question, écoute attentive et compréhensive du mal-être de la fillette. Leurs voyages en train en direction de l’hôpital pour enfants Robert Debré, à Paris, forment ainsi de vraies bouffées d’air, que l’on ressent avec une même intensité dans des séquences plus ludiques.  

JEUX D’ENFANTS 

Jamais le film ne perd de vue le fait que Sasha n’est qu’une enfant, qu’elle a besoin de protection, certes, mais aussi d’instants d’insouciance pour se construire. Parallèlement à la bataille qu’elle et ses proches portent sans relâche, Lifshitz prend ainsi le temps de filmer avec éclat, légèreté et proximité ses rondes enfantines, ces instants précieux où elle joue à « 1,2,3 soleil » ou avec ses poupées Barbie. Des scènes qui, plutôt que de ramener Sasha à sa différence, lui redonne les clefs de l’enfance qu’on tente si souvent de lui voler. Fille ou garçon, là ne devrait jamais être la question.