Premier film sonore de Chaplin, ce mélodrame grave marque à la fois la quintessence et le déclin progressif du personnage de Charlot.
Charlot: un corps indomptable, un vagabond poétique et maladroit, catastrophe ambulante dont la silhouette marginale est aussi un signe de résistance au conformisme et aux bonnes moeurs. En 1931, alors que Le Chanteur de Jazz (1927) a fait basculer le cinéma dans l’ère du parlant, Charlie Chaplin décide de nager à contre sens de la révolution technologique en restant fidèle à son célèbre personnage mutique, pour réaliser une « comédie romantique en pantomime« , et railler la superficialité de ce nouveau cinéma bavard. Avec Les Lumières de la ville, sans doute son mélodrame le plus grave et désabusé, marqué par l’adieu à l’âge d’or du muet, Charlie Chaplin invente aussi une nouvelle forme de comique. Grâce à une bande-son synchronisée composée par ses soins, et des bruitages habilement dosés qui viennent railler les situations mises en images, le réalisateur prouve la virtuosité de son art burlesque – qui sans prononcer un mot introduit de la subversion partout où il passe.
Il suffit de revoir la mémorable séquence d’ouverture, ou encore celle du sifflet, pour comprendre que Chaplin croit avant tout à la toute puissance des images implicites, des raccords silencieux, des regards ténus capables de lire dans l’âme des personnages. Au-delà du caractère révolutionnaire de ce premier film sonore de Chaplin, c’est son humanité tragique qui en a fait un véritable succès au box-office (3 millions de dollars enregistrés au box-office). Charlot s’y fait passer pour un millionnaire afin de séduire une fleuriste aveugle dont il est tombé amoureux, sacrifiant tout pour cette inconnue dont la misère le touche. Sous les gags chorégraphiés, c’est cette humilité déchirante qui a fait dire à Orson Welles que Les Lumières de la ville est le plus beau film de tous les temps…
Image: Les Lumières de la ville, Copyright United Artists