PORTFOLIO : L’éclat de la Shōchiku, studio japonais mythique

Le festival des Trois Continents à Nantes consacrait jusqu’au 28 novembre une rétrospective à la grande major nippone, qui fête son centenaire cette année. Consacré à des films confidentiels, plutôt inconnus du grand public, ce panorama est l’occasion de redécouvrir des oeuvres qui prennent le pouls, à travers des genres divers (le gendaigeki, le jidaigeki, le chambara), des problématiques socio-politiques du Japon. L’éthique des samouraïs, la place du désir féminin ou encore l’occupation américaine d’après-guerre : la Shōchiku a mis en avant des cinéastes soucieux d’explorer ces thèmes audacieux. Jérôme Baron, directeur du festival, commente pour nous quelques images-clés issues de films défendus par la société mythique.


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Pour une épingle à cheveux de Hiroshi Shimizu (1941)

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« Une intrigue si légère qu’elle pourrait en paraître risible », résume Jérôme Baron à propos de ce gendaigeki (en japonais, l’expression désigne un film réaliste, qui capture et sublime les habitudes de la société contemporaine). Dans cette romance en temps de guerre, un soldat pensionnaire d’une station thermale se blesse avec une épingle à cheveux perdue dans un bassin. Il ne tarde pas à trouver sa propriétaire, dont il tombe amoureux…

Sous ses apparences de bluette, ce récit trouve une profondeur inédite, grâce à la mise en scène intuitive, dépouillée et moderne de Hiroshi Shimizu, cinéaste le plus prolifique du studio : « Celui qui fut un des cinéastes phares de la Shochiku et le premier mari de Kinuyo Tanaka demeure un cinéaste mal connu, voire inconnu en Europe. lui trouvait du génie. En 35 ans de carrière, il réalisa autour d’une centaine de films marqué dans une partie de l’œuvre par un intérêt soutenu pour la jeunesse. » Citons notamment La Tour d’introspection (1941), dans lequel le cinéaste saisit en plan fixe la vie quotidienne d’un centre de redressement pour enfants difficiles, et qui témoigne de son attachement pour la marginalité.

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Rivière noire de Masaki Kobayashi (1957)

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Après avoir été l’assistant de Keisuke Kinoshita (notamment sur Carmen revient au pays), Masaki Kobayashi affirme en 1957 son style amer et sombre, avec ce film qui prend pour décor les bas-fonds de Tokyo, aux abords d’une base américaine. On y suit un jeune étudiant, qui s’éprend d’une jeune femme également convoitée par un yakuza, auquel l’iconique Tatsuya Nakadai prête sa gueule d’ange. « Rivière noire est l’occasion du premier vrai rôle au cinéma de Tatsuya Nakadai, celui de Jo, un petit gangster sans scrupule. Il collaborera souvent avec le cinéaste mais aussi avec Gosha, Naruse, Kurosawa, Kurahara, Shinoda, Teshigahara, pour devenir une des plus grandes stars de toute l’histoire du cinéma japonais ».

Surtout, avec cette peinture désenchantée du Japon d’après-guerre, peuplée d’anti-héros, Kobayashi sème le trouble au sein de la Shochiku et de ses sages thématiques, qui exploraient jusqu’ici les valeurs de la famille traditionnelle : « Si le film de Kobayashi intéresse, c’est que son intrigue préfigure à travers ses situations et ses personnages des thèmes qui seront ceux de la Nouvelle Vague japonaise – notamment dans les premiers films de Nagisa Ōshima et Shōhei Imamura ».

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Mademoiselle Ogin de Kinuya Tanaka (1962)

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Vedette du cinéma muet aux débuts de la Shochiku, égérie de Kenji Mizoguchi qui lui confia le rôle inoubliable d’une geisha aux mille visages dans La Vie d’O’Haru femme galante (1952), ou encore d’un fantôme blême dans Les Contes de la lune vague après la pluie (1953)… On a vite fait de réduire Kinuyo Tanaka à son aura de « muse » des cinéastes japonais de l’âge d’or classique, tant la douceur de son visage a marqué l’histoire du studio. C’était sans compter sur la hardiesse de cette reine du mélodrame, « qui a aussi été une des très rares femmes à passer à la réalisation dans le contexte des grands studios ».

Entre 1953 et 1962, après des rôles engagés (dans Flamme de mon amour, elle campe une militante féministe), elle réalise six longs-métrages, tous traversés par le désir d’émancipation d’héroïnes passionnées. Mademoiselle Ogin, son dernier film en scope et couleur tourné pour la Shochiku, raconte l’histoire de la fille du maître de thé Rikyu, amoureuse d’un samouraï chrétien, religion interdite par le Japon au XVIe siècle. Avec une audace et un érotisme tout en métaphores, Kinuya Tanaka s’attache à décrire la rébellion d’un personnage qui s’affranchit de la cruauté des hommes en vivant son amour interdit, avant de se donner la mort. Une image très à propos, pour cette cinéaste qui brava elle-même le milieu très masculin des studios.

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Chasseurs dans les ténèbres de Hideo Gosha (1979)

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Inspiré du kabuki, théâtre japonais traditionnel né à l’époque d’Edo au début du XVIIe siècle, le film de chambara (onomatopée japonaise qui désigne le bruit des sabres) connaît un regain d’intérêt en 1954, avec Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa. Equivalent du film de cape et d’épée européen, ce genre très populaire et prisé par la Shōchiku met souvent en scène des samouraïs torturés, en porte-à-faux avec l’éthique du bushido, leur code d’honneur guerrier.

Avec Chasseurs des ténèbres, Hideo Gosha colore le chambara d’une dimension plus nihiliste, en racontant l’histoire feuilletonesque d’un tueur à gages borgne, engagé par un chef de gang comme garde du corps pour le protéger d’une rivalité entre clans : « Hideo Gosha participa à un renouvellement essentiel du film de sabre dit « chanbara ». Chasseurs dans les ténèbres mêle les influences du film noir et du western pour produire une force graphique et visuelle dont l’influence est en retour perceptible chez des cinéastes comme Quentin Tarantino. » Scènes de combat au graphisme pointilleux, couleurs saturées, thème de la vengeance qui emprunte aux codes du yakuza eiga (fresques sur la mafia japonaise) : ce film a en effet de faux-airs de Kill Bill.