« Yellowjackets » : un survival psychologique palpitant

Au croisement du teen movie, du slasher et de « Lost », la série « Yellowjackets » conte la descente aux enfers d’un groupe d’adolescentes dont l’avion s’est écrasé en pleine forêt. Tandis que la mort rôde, les amitiés sont mises à l’épreuve et la hiérarchie du groupe est reconfigurée. Un drame horrifique gore à souhait, original et palpitant.


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Inspirée du roman culte de William Golding Sa Majesté des mouches, dans lequel un avion transportant un groupe d’écoliers anglais s’écrase sur une île du Pacifique, et par deux récits avérés de cannibalisme – l’expédition Donner, en 1846, où des pionniers américains en route vers la Californie durent manger les morts pour survivre, et le crash dans la cordillère des Andes, en 1972, d’un appareil transportant les membres de l’équipe uruguayenne de rugby et leurs proches, qui pratiquèrent eux aussi l’anthropophagie –, Yellowjackets raconte l’épopée survivaliste d’une équipe de footeuses lycé­ennes dont le jet privé s’abat en pleine forêt canadienne, dans les années 1990.

Outre la quinzaine d’ados livrées à elles-mêmes pendant dix-neuf mois, il y a là deux garçons et un adulte, l’entraîneur adjoint, amputé d’une jambe après le crash, métaphore évidente de son autorité déchue. Et, pour tout le monde, la transgression du tabou ultime : le cannibalisme, dont la série ne fait pas mystère, mais que les survivantes ont juré de ne jamais révéler. Vingt-cinq ans plus tard, leur passé les rattrape, puisqu’un corbeau menace de cracher le morceau. Alternant flash-back et flash-forward, l’intrigue contemporaine s’intéresse à quatre des survivantes, victimes du même chantage : Shauna (exceptionnelle Melanie Lynskey, vue dans Togetherness ou I Don’t Feel at Home in This World Anymore), mère au foyer insatisfaite qui cache bien son côté sombre ; Taissa (Tawny Cypress, croisée dans Heroes ou Unforgettable), candidate au Sénat et compétitrice dans l’âme ; Natalie (Juliette Lewis), toxicomane sensible et délurée ; et Misty (Christina Ricci), outsider binoclarde, manipulatrice et pathétique mais pleine de ressources.

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Mélange savamment dosé de Lost, de teen movie, de thriller psychologique et de folk horror (forêt menaçante, symboles étranges, visions sinistres, crânes de cervidés et peaux de bêtes), Yellowjackets explore le trauma, la culpabilité et les stratégies déployées à l’âge adulte pour sauver les apparences. Mais c’est dans le passé, portée par une bande-son qui dépote (PJ Harvey, Hole, Peaches…), que la série nous attrape. Tendre, lorsqu’elle explore la psychologie de ces jeunes filles, leurs interrogations sur l’amour et le sexe, leurs aspirations suspendues et peut-être à jamais perdues. Palpitante, lorsqu’elle assume son côté slasher et que la mort surgit, si possible avec du sang qui gicle et des chairs à vif. Mieux encore : en montrant, dès le pilote, une course-­poursuite qui s’achève par l’empalement d’une ado sur un piège planqué sous la neige, suivi par d’étranges rituels, la série prouve qu’elle en a sous le pied, au-delà du mystère initial à la résolution prévisible. La solidarité du groupe n’est visiblement pas acquise, et la rupture semble inéluctable. Longue sera la descente vers la sauvagerie, amorcée par ce « retour » forcé à la nature.

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Yellowjackets brouille les pistes, excite les neurones et distille juste ce qu’il faut de réponses pour ne pas frustrer – à l’inverse de Lost, qui naviguait à vue en multipliant les énigmes, ou de la première saison de True Detective, truffée de références ésotériques et philosophiques sans objet, mais qui provoqua, début 2014, un engouement inédit des internautes. Aux États-Unis, où sa diffusion s’est achevée mi-janvier, Yellow­jackets a cristallisé l’excitation, mais aussi les frustrations, d’un public biberonné à Netflix et désormais plus habitué à « binger » une saison en deux jours qu’à patiemment attendre le prochain épisode. Ce qui devrait achever de vous convaincre : toutes les survivantes ne passeront pas l’hiver ; Yellowjackets, si.

en mars sur Canal+ et MyCanal

Image (c) Kailey Schwerman/SHOWTIME