FOCUS – Comment les documentaristes gèrent-ils l’après-tournage ? [1/3]

Après le tournage puis la diffusion d’un documentaire, qu’advient-il des relations tissées entre le filmeur et le filmé ? À travers trois épisodes, le PLAN DOCU revient sur un des secrets les mieux gardés du documentaire, grâce aux témoignages sensibles et édifiants de trois cinéastes. Épisode 1 : le réalisateur devenu psy, avec Rodolphe Marconi (« Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes »).


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Cinéaste rare et acclamé, Rodolphe Marconi a délaissé deux fois la fiction pour des portraits documentaires. Dans un grand écart qui lui ressemble, il a filmé, en 2007, le grand couturier et styliste milliardaire Karl Lagerfeld (Lagarfeld Confidentiel), puis, en 2019, Cyrille, un jeune agriculteur endetté (dans Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes).

« Cyrille travaille dix-huit heures par jour. Quand je l’ai rencontré sur la plage, c’était la première fois qu’il partait en vacances. Pour filmer son travail, je me devais d’être là tout le temps, et donc d’habiter à la ferme dans une petite chambre collée à l’étable. Ça a duré quatre mois d’affilée. J’étais seul, ma caméra en main, coupé du monde, lost in space. Je n’imagine pas le documentaire autrement. On doit enlever toutes les béquilles de la mise en scène.

« J’étais comme son frère, ou comme son ombre en fait. »

Dans mon film, tout est vrai : je n’ai jamais demandé à Cyrille ou à d’autres de rejouer une scène pour la caméra. Par exemple, je voulais filmer son réveil aux aurores. La seule solution a été de dormir au pied de son lit, avec des AirPods dans les oreilles pour me réveiller dix minutes avant lui, c’était cinglé ! Bizarrement, on ne se parlait pas trop au début, mais on est devenus proches en avançant dans le film. On a fusionné, comme si on se connaissait depuis toujours. J’étais comme son frère, ou comme son ombre en fait.

La grande question a été de savoir quand est-ce qu’on arrêterait le tournage. Au moment où la liquidation judiciaire de sa ferme se profilait, j’ai décidé de partir. C’était too much, trop triste, trop évident de filmer la fin de son exploitation et la vente des vaches. J’ai aussi pris cette décision pour le protéger pour l’après. Justement, l’après a été important. Pour lui éviter d’être mal à l’aise en public, on a décidé de ne pas lui demander de venir aux projections du film dans les cinémas. Mais notre relation ne s’est pas arrêtée pour autant.

Quatre mois après le tournage, je lui ai proposé de venir faire du tourisme à Paris, trois jours chez moi. Et ensuite, on s’est appelés pendant un an tous les soirs, ça durait au moins une heure. J’étais comme un psy. C’était à la fois naturel et étrange. Il en avait besoin. Aujourd’hui, je lui parle moins. C’est sûrement parce qu’il va mieux : il a trouvé un amoureux et il suit une formation pour se reconvertir. »