Avant toute chose, une précision d’importance s’impose : quand bien même il offre un rôle magnifique à Rita Moreno (la Anita du West Side Story de 1961), le film de n’est en rien un remake du classique de Robert Wise, mais bien une nouvelle adaptation du drame lyrique de Leonard Bernstein, Stephen Sondheim et Arthur Laurents. D’ailleurs, si Spielberg reprend à l’identique les pièces musicales, il s’est (légèrement) réapproprié le livret. Le dramaturge Tony Kushner, déjà auteur du scénario du Munich (2005) de Spielberg, a en effet recentré une partie de l’intrigue sur le combat entre deux générations d’émigrés, sur fond de gentrification de Manhattan. Ici New York n’est donc pas qu’une toile de fond, mais bien un personnage qui mute, chancelle et tente de préserver son identité au milieu d’un intense chaos social.
Cette intention est éloquente de l’ambition qui porte West Side Story. Car la caméra virevoltante de Spielberg fait s’alterner en permanence l’amour secret de Maria (Rachel Zegler, dont c’est le premier rôle) et Tony (Ansel Elgort, vu dans Baby Driver) avec des enjeux sociaux à l’échelle de tout un pays. Spielberg offre ainsi un écho contemporain parfois choquant de pertinence.
Qu’il s’agisse de la violence de la répression policière, de l’inadéquation des réponses étatiques à la colère d’une jeunesse privée de repères, ou encore du communautarisme mortifère fleurissant sur la misère crasse d’une société profondément inégalitaire, West Side Story nous renvoie un miroir souvent douloureux des drames qui agitent les États-Unis, et le monde occidental dans son ensemble.
Ça n’est pas là le moindre exploit de ce film qui s’impose, aussi et avant tout, comme un témoignage imparable de la maîtrise de Spielberg. On a rarement vu une œuvre aussi fluide dans son découpage, aussi habile dans sa faculté à enchaîner des plans séquences virtuoses sans jamais sombrer dans le démonstratif. Il faut voir le crescendo tourbillonnant d’America, qui débute comme un cri du cœur lancé dans un appartement exigu, pour contaminer les habitants de tout un quartier, emportés par l’espoir fou d’une jeune émigrée portoricaine.
Il faut voir aussi avec quelle adresse la mise en scène ne cesse d’enfermer Tony, ex prisonnier tentant vainement d’échapper à son passé et à la haine qui agite sa communauté. Lors de la fameuse scène du balcon qui débouche sur la chanson Tonight, la promiscuité de Tony et Maria devient ainsi de plus en plus forte, mais Spielberg sépare constamment les deux amants par un élément de décor qui prive Tony de la liberté à laquelle il aspire. En enchainant ces morceaux de bravoure, Spielberg n’a de cesse de rappeler la puissance du gros plan, l’intensité d’un travelling et inonde ses images d’éclats lumineux, comme pour mieux célébrer à tous les instants l’expérience même du cinéma.
Le 18 décembre prochain, Steven Spielberg soufflera ses 74 bougies. Et si West Side Story a tout de l’œuvre d’un vieux maître qui a travaillé d’arrache-pied pendant plus d’un demi-siècle derrière les caméras, son film bat au rythme du cœur d’un jeune homme qui n’a rien perdu de sa passion pour le cinéma.
Images (c) Walt Disney Germany
West Side Story de Steven Spielberg, 2h37, Walt Disney, sortie le 8 décembre