Vu à la Berlinale : « Occhiali Neri » de Dario Argento

Après dix ans sans réaliser de film, Dario Argento revient aux affaires avec « Occhiali Neri », un étonnant giallo sur une prostituée qui perd la vue après une agression. Une série B très libre sur nos manières de regarder le monde, le tout pulsé par la musique d’Arnaud Rebotini. À 81 ans, le maestro tenterait-il de renouveler son regard ?


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En ouvrant son nouveau film sur l’intrigante image d’une femme pulpeuse se protégeant les yeux avec une paire de lunettes de soleil pour contempler une éclipse solaire dans un parc à Rome, annonce le programme. Cette héroïne vêtue de noir et de rouge vif qui détone sur le carré d’herbe tendre, c’est Diana, prostituée à domicile, qui tranche aussi radicalement avec les mères de famille et leurs enfants venus regarder le ciel, mais eux avec des filtres UV adaptés. La vision de Diana ne semble pas être la même que les autres, elle n’est en tout cas pas régie par les mêmes règles. Si elle va tout de même perdre la vue quelques scènes plus loin, c’est pour une autre raison : un maniaque qui s’en prend à des escort girls la pourchasse en voiture, celle de Diana en percute une autre transportant une famille et le choc entraîne sa cécité.

Dès lors, elle qui vivait plutôt confortablement mais solitairement, à force de jugements sur son métier (par exemple de la part de sa femme de ménage très religieuse) et de clients irrespectueux à repousser toujours plus fort, est obligée d’inverser tous ses codes. Réapprendre à se repérer dans l’espace, à utiliser ses sens et son instinct, et surtout se forger un solide cercle de confiance. Plus question de la jouer solo pour survivre, d’autant moins que le tueur n’est pas prêt de la lâcher.

C’est à ce point du récit qu’Argento surprend, en délaissant un temps la trame du giallo pour s’attarder sur la rééducation nécessaire après la perte de la vue – ce que le cinéma ne montre quasiment jamais. Apprentissage de la sororité (avec son éducatrice spécialisée, ), d’une forme de parentalité (Diana recueille le petit garçon qui était à bord de la voiture qu’elle a percutée) et tissage d’un lien d’une grande puissance avec son chien-guide : ce sont ces pistes de survie nouvelles, ces autres façons de voir et ressentir les autres, qui semblent particulièrement intéresser ici le cinéaste italien.

Ce qui n’entame pas pour autant son goût pour la forme, notamment dans une poignée de scènes gores fidèles à sa marque de fabrique, sur les rythmes électro entêtants d’Arnaud Rebotini (), mais un peu plus son scénario, dans lequel se multiplient parfois les réactions stupides ou incohérentes des personnages – mais c’est aussi ça qui fait le sel de la série B. A l’arrivée, Occhiari Neri semble être tout ce qu’on n’attendait pas d’un réalisateur octogénaire de films d’horreur italien : un plaidoyer pour les putes et un réquisitoire contre les flics et les masculinistes.