On imagine John Davey, chef opérateur de Frederick Wiseman depuis trente ans, ravi d’apprendre qu’il tournera Un couple presque entièrement en extérieur, à Belle-Île. Habitué à filmer bureaux et salles de réunion pour documenter le fonctionnement des institutions américaines, il observe ici librement le mouvement de la nature. Dans ce cadre, Nathalie Boutefeu interprète avec maîtrise et justesse le monologue lancinant de Sophia Tosltoï, éloignée un temps de son foyer.
Le décor dans lequel se côtoient beauté et violence joue plus comme illustration que comme contre-pied du terrible théâtre intime que racontent les mots. Car le récit ininterrompu de la femme du grand écrivain – elle-même autrice – est certes hanté par l’économie domestique et ses frustrations, mais il est aussi habité par la fièvre amoureuse, la passion créatrice et les joies de l’éducation. En décrivant la violence dysfonctionnelle et la beauté de leur histoire fusionnelle, Sophia résiste à la fureur de son mari.
On aurait tort de ranger Un couple en marge de la filmographie de son auteur. En se frottant à l’intime de cette relation singulière, Wiseman documente une institution, le mariage, et en ausculte d’une façon puissamment contemporaine les partages comme les assujettissements.
Un couple de Frederick Wiseman, Météore Films (1h03), sortie le 19 octobre.