« Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te fuis » de Kōji Fukada : un troublant diptyque sur l’amour

Dans son diptyque « Suis-moi je te fuis » (sortie le 11 mai) / « Fuis-moi je te suis » (le 18 mai), le Japonais Kōji Fukada mêle film noir et drame romantique en interrogeant les fantasmes portés par ces deux genres de cinéma. Une réflexion vertigineuse sur la façon dont la vie se pare de fiction.


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Chez Kōji Fukada, il y a souvent ce motif du mystérieux inconnu qui s’introduit dans la vie d’un groupe, révèle à celui-ci une part insoupçonnée de lui-même, et bouleverse la dynamique de ses relations. Dans Hospitalité (2010) et Harmonium (2017), c’étaient des familles que le cinéaste se plaisait à bousculer par de telles intrusions. Alors que dans Le Soupir des vagues (2019), presque à la frontière du fantastique, l’irruption d’un personnage mutique aux étranges pouvoirs venait plutôt confronter une communauté au deuil et à la mémoire d’un tsunami.

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Dans son diptyque Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis, Fukada use à nouveau de ce canevas : cette fois, c’est un archétype de cinéma, la « femme fatale », qui vient chambouler la vie quotidienne d’un employé de bureau. Dans Suis-moi je te fuis, Tsuji sauve la vie d’Ukiyo sur un passage à niveau. Il découvre qu’elle est criblée de dettes. À partir de là, elle se rappelle sans cesse à lui, alors qu’il cherche à se concentrer sur sa carrière. Au téléphone, des voix énigmatiques lui demandent de rembourser d’énormes sommes pour son compte à elle, ce qu’il fait. Puis ce sont des yakuzas qui le convoquent, intrigués par cette aide qu’il apporte à une femme qui leur pose problème. Enfin, on découvre qu’elle est poursuivie par un mari qui la séquestrait…

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Cet enchaînement de complications intrigue fortement Tsuji, d’autant que, chaque fois qu’il vient à la rescousse d’Ukiyo, elle disparaît dans la nature… Petit à petit, il tombe amoureux. Ce cliché de la femme dangereuse et insaisissable, propre au film noir et aussi au regard masculin, Fukada a la volonté de le complexifier dans la deuxième partie, Fuis-moi je te suis. Le cinéaste, en adoptant davantage le point de vue d’Ukiyo tandis que cette fois Tsuji se dérobe, cherche justement à écarter ce mystère, cette fascination. Pour lui, le sujet, c’est justement comment elle ne se laisse pas catégoriser par ce regard. Son histoire n’est pas un fantasme, elle est réelle et tragique.

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À travers l’attitude de Tsuji envers Ukiyo, c’est donc bien notre propre regard que questionne Fukada – notamment avec de nombreux zooms venant sonder des plans d’ensemble, manifestant notre incertitude, notre état d’indécision par rapport aux motivations du jeune homme. Aide-t-il Ukiyo de manière totalement désintéressée ? Ou, à ses dépens, court-il après l’aventure, après une vie plus excitante que celle qu’il mène ? (Il s’occupe de la maintenance des stocks dans une société de jouets, comme un symbole de cette tension entre morosité de son poste et attrait du jeu.) Fukada nous demande alors : à quoi aspire-t-on quand on cherche nous-mêmes ce chaos dans nos vies ?

Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te fuis de Kōji Fukada, Art House (1 h 49 et 2 h 04), sortie les 11 mai et 18 mai

Images: © Arthouse