Dans un bar paumé aux abords d’Austin, Texas, un groupe de filles fait escale le temps d’une tournée de margaritas. Butterfly (Vanessa Ferlito) cède aux avances du balafré Stuntman Mike (Kurt Russell) et se jette à corps perdu dans un lap dance sulfureux. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que cette danse va sceller son destin tragique.
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On ne le connait pas encore, il déboule de nulle part à bord de sa Chevrolet Nova, mais Stuntman Mike (« le cascadeur ») n’intimide pas Butterfly, qui tient plutôt à relever tous les défis. Dos à la caméra, elle fait onduler son corps dès que résonnent les premières mesures du hit blues Down in Mexico par The Coasters.
La séquence, rythmée par les mouvements de bassin archi sensuels de Vanessa Ferlito, – amplifiés par les inflexions mutines de la chanson –, semble pourtant suspendue dans le temps. Il faut dire que les trente premières minutes du film sont assez bavardes et jusqu’ici, aucun moment n’a paru plus crucial qu’un autre.
Pourtant, cette scène qui d’apparence ne présage pas une issue particulièrement dramatique va se révéler fatale pour la bande de filles. En fixant définitivement le regard de Stuntman Mike sur Butterfly, Quentin Tarantino nous signale la tragédie à venir. Mike est un horrible personnage qui assassine brutalement les femmes qu’il croise sur son chemin. Et là, Butterfly est dans son viseur.
En rampant à quatre pattes devant lui, en serpentant le long de son torse, Butterfly s’érige, sans le savoir, au statut de proie. La scène s’apparente alors à une partie de chasse. Elle devient l’obsession de Stuntman Mike, qui trépigne d’impatience à l’idée de consommer cette chair. La consommer, mais en l’écrabouillant. Butterfly, quant à elle, ne se rend compte de rien. Elle revendique une grâce féminine certaine, dans un jeu de pouvoir – qui passe par les regards – qu’elle a toutefois déjà perdu.
La séquence se termine par une rupture brutale, au son et à l’image, comme si la pellicule déraillait (Tarantino utilisait et utilise toujours la captation analogique). La musique saute plusieurs fois avant de s’interrompre sur un écran noir et la bobine sature comme si l’excès de désir de Stuntman Mike pour les femmes, se transformant en frustration, le conduisait à vriller complètement. Ce sont les codes narratifs du slasher que Tarantino pousse ici à leur paroxysme.
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Puis, la malheureuse Pam (Rose McGowan que l’on retrouve dans Planète Terreur de Robert Rodriguez, deuxième épisode du double-programme Grindhouse dont Boulevard de la mort fait partie) – monte dans la voiture de Stuntman le temps d’une excursion qui s’avérera funeste, pour elle et ses amies violemment éjectées de leur habitacle.
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Le crash permet au cinéaste d’exprimer son goût pour l’exhibition fétichiste et le gore étrangement lié au sexy. Tarantino y sollicite son admiration pour les vieux films de courses-poursuites américains (échos au Vanishing Point de Richard C. Sarafian, il va jusqu’à choisir les mêmes modèles automobiles), et signe ainsi un film concept aux multiples influences, parfaitement exécuté et absolument jouissif, qui concourait pour la Palme d’or au Festival de Cannes en 2007.
Boulevard de la mort de Quentin Tarantino, disponible gratuitement sur arte.fr jusqu’au samedi 2 avril.
Images: © TFM Distribution