La scène
(Le barbier [Charlie Chaplin] gravit les marches jusqu’à la tribune, tête baissée, sa casquette de soldat à la main. Il s’installe devant le pupitre.)
Le barbier : « Je regrette, je ne veux pas être un empereur. Ce n’est pas mon affaire. Je ne veux pas régner ni conquérir. J’aimerais aider tout le monde : juifs, chrétiens, Noirs, Blancs. Tous, nous désirons nous entraider, vivre du bonheur des autres, pas de leur malheur. Nous ne voulons ni haïr ni mépriser. Il y a place pour chacun. La terre est riche et peut nourrir tout le monde. La vie peut être libre et belle, mais nous avons perdu ce chemin. […] À ceux qui m’entendent, je dis : ne désespérez pas. Notre malheur actuel est né de la cupidité, de l’amertume de ceux qui redoutent le progrès. La haine passera, les dictateurs mourront, et le pouvoir pris au peuple reviendra au peuple. Tant que des hommes mourront, la liberté ne périra pas.
Soldats ! N’obéissez pas à des brutes qui vous méprisent et vous oppriment, qui vous dictent vos actes et vos pensées, qui font de vous du bétail, de la chair à canon. Ne cédez pas à ces êtres dénaturés aux cerveaux et aux cœurs de machines ! Vous n’êtes ni des machines ni du bétail, mais des hommes ! Vous portez l’amour dans vos cœurs. Vous n’avez pas de haine ! Seuls haïssent les dénaturés ! Ne luttez pas pour l’esclavage, combattez pour la liberté ! Saint Luc écrit : “Le royaume de Dieu est en l’homme.” Non pas un, ou un groupe, en tous les hommes ! En vous ! C’est vous, le peuple, qui avez le pouvoir de créer les machines, de créer le bonheur ! Vous avez le pouvoir de rendre cette vie libre et belle, d’en faire une merveilleuse aventure.
Scène culte : « Les Lumières de la ville »
Au nom de la démocratie, usons de ce pouvoir, unissons-nous ! Combattons pour un monde nouveau, qui donnera à tous un travail, un avenir aux jeunes, une sécurité aux vieux. En promettant cela, des brutes ont pris le pouvoir. Ils mentaient ! Ils n’ont pas tenu leurs promesses. Les dictateurs se libèrent, mais asservissent le peuple. Luttons pour accomplir ces promesses. Pour libérer le monde, abolir les barrières nationales, abolir la cupidité, la haine et l’intolérance. Luttons pour un monde de raison où la science et le progrès mèneront au bonheur de tous ! Soldats ! Au nom de la démocratie, unissons-nous ! »
(Des cris de joie s’élèvent de la foule.)
L’analyse de scène
Dans son premier film parlant, Chaplin croise les parcours d’un dictateur d’un pays fictif, la Tomanie (inspiré de l’Allemagne nazie), et d’un barbier juif persécuté – tous deux joués par l’acteur-cinéaste. Dans la scène finale, le discours humaniste du barbier – qui s’est glissé dans le costume du dictateur – apparaît comme une pause à la fois dans le film et dans la carrière burlesque de Chaplin. C’est un moment de suspension, comme le fut .
Un plan rapproché isole Chaplin sans profondeur de champ, non pas pour le transformer en icône, comme il a pu l’être en vagabond à moustache et chapeau dans ses précédents rôles, mais pour faire de lui un porte-voix du combat pour la liberté. S’ensuit un montage alterné entre un plan pastoral sur une paysanne éplorée au sol, image universelle du peuple qui souffre, et un plan desserré figurant un Chaplin à l’éloquence insoupçonnée, haranguant la foule devant un parterre de micros. Plus qu’une conclusion, il s’agit bien d’un appel. À Cannes, Zelensky l’a relancé au monde du cinéma : « Il nous faut un nouveau Chaplin qui prouvera que le cinéma n’est pas muet face à la guerre en Ukraine. »
Le Dictateur de Charlie Chaplin, en DVD et Blu-ray (Potemkine, mk2)