« Persona » : le film de Bergman réinterprété par l’intelligence artificielle

Le festival de Göteborg va projeter une nouvelle version du film, dans laquelle le visage de l’actrice Alma Pöysti remplacera celui de Liv Ullmann. Une façon de questionner, à l’aune de l’IA, les faux semblants vertigineux de ce grand classique, et la versatilité des images.


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On savait que la déferlante d’intelligence artificielle ferait le bonheur des studios hollywoodiens – le générique d’ouverture de la nouvelle série Marvel avec Samuel L. Jackson dans le rôle de Nick Fury, Secret Invasion, diffusée sur Disney+, a par exemple été fabriqué par une I.A. Mais Ingmar Bergman feat. la technologie du futur : la rencontre est aussi improbable qu’intrigante.

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Dans le cadre de sa vingt-quatrième édition, le festival suédois du film de Göteborg organise un cycle focus intitulé Another Intelligence, pour faire dialoguer l’intelligence artificielle et ses applications artistiques ou sociales. Il y sera projeté une version très singulière de Persona, du maître du cinéma suédois Ingmar Bergman, rebaptisée Another Persona.

Et pour cause : c’est l’actrice Alma Pöysti, en ce moment à l, qui reprendra le rôle de la grande Liv Ullmann. Ou plutôt, c’est son visage qui sera apposé, à la place de celui de Liv Ullman. Dans le film original, celle-ci jouait Elisabet Vogler, célèbre comédienne brutalement saisie de mutisme, qui entretenait une relation trouble, mêlée d’identification et de rejet, avec Alma (Bibi Andersson), jeune infirmière chargée de s’occuper d’elle.

Les tourments d’Ingmar Bergman

Sur le papier, l’idée peut paraître incongrue. Mais elle fait sens lorsqu’on se remémore le sujet de ce grand film schizophrène qu’est Persona. Ingmar Bergman a souvent raconté la genèse du film : souffrant d’une double-pneumonie, il est resté plusieurs semaines à l’hôpital et c’est pendant ce long séjour que, pris d’hallucinations après une injection, il imagine ce qui deviendra Persona. Dans un bref moment de répit, il avait écrit à toute allure ces quelques notes qui s’avéreront bien utiles. « Persona m’a sauvé la vie », confiait-il.

Dès le départ, Persona était donc le fruit de troubles perceptifs, d’un esprit qui ne dissociait plus bien la réalité de ses fantasmes intérieurs – et qu’est-ce que l’I.A., sinon la possibilité infinie de tordre la réalité pour nous faire voir des choses impossibles ? De plus, Persona est un grand film sur le basculement, l’au-delà, les formes métaphoriques que prennent la mort et l’oubli de soi – sa scène d’ouverture est d’ailleurs un hommage à Orphée (1950) de Jean Cocteau, dans lequel Jean Marais sombre vers le monde des morts.

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Jonas Holmberg, directeur artistique du festival du film de Göteborg, justifie cette nouvelle version en invoquant des vertus philosophiques à l’IA, capable de questionner la versatilité des images, la reproductibilité des acteurs : « Le débat autour du jeu d’acteur, les masques et l’authenticité, qui a fait de Persona un classique, a été réactivée de toute urgence par les avancées technologiques. La grève à Hollywood [dont on rappelle qu] a notamment déclenché un débat important sur les possibilités de production et les menaces qui pèsent sur le marché du travail en ce qui concerne l’IA. Nous voulons ajouter une dimension artistique et existentielle à la discussion ».

Cette nouvelle version devrait donc s’offrir comme une variation passionnante sur le mensonge, la contrefaçon, la recherche paradoxale de l’authenticité à travers les machines. Another Persona sera projeté en exclusivité en présence de Liv Ullmann et Alma Pöysti, qui participeront également à une discussion sur le jeu d’acteur et la technologie.

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