OLDIES : « Satyricon », l’Antiquité fantasmée de Fellini

Sorti en 1969, ce faux péplum antique inspiré de Pétrone, hanté par les fantasmes baroques de Fellini, est à revoir en salles en version restaurée.


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De réputation, on sait que Federico Fellini dormait peu. Ses nuits d’insomnie, il les passait à bord d’une voiture, en virée dans Rome. Quand le sommeil tombait enfin, il s’épaississait de rêves biscornus, hallucinés, que le cinéaste avait pris pour habitude de dessiner minutieusement au réveil, feutres de couleur en mains et avec à l’esprit des courbes généreuses comme ligne d’horizon.

En voyant Satyricon, on a le sentiment d’être entré, un peu par effraction, dans cette jungle baroque et torturée ∅ du cinéaste. Plus encore que ses autres films, il porte sa patte de peintre exubérant, son goût pour l’outrance esthétique. 

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Cette fresque monumentale, construite comme une suite de tableaux hédonistes, fait l’effet d’un trip hallucinatoire aux tréfonds du vice. On y suit le destin d’Encolpe et Ascylte (Martin Potter et Hiram Keller), deux étudiants vagabonds dans la Rome décadente de l’Antiquité. Entichés de Giton (Max Born), un jeune esclave androgyne dont ils se disputent les faveurs, ces cousins éloignés d’Ulysse vont traverser une suite d’épreuves picaresques – un combat avec le Minotaure où s’exprime un certain fantasme de la virilité notamment – et de plaisirs peu moraux.

Tout en s’emparant du sous-texte homoérotique déjà présent dans le texte sulfureux de Pétrone dont il s’inspire, Fellini puise aussi dans les souvenirs de ses voyages aux Etats-Unis, où la culture hippie battait alors son plein. L’amour libre, la bissexualité, l’extase de la drogue : l’effervescence des années 1970 avait quelques points communs avec la Rome du premier siècle. Par cette étrange superposition symbolique des temps, Satyricon se déleste de tout réalisme, prône une démesure flamboyante, au point de toucher à une forme de sublime grotesque.

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Car ce qui intéresse Fellini, c’est l’entremêlement, à l’image, du laid et du virtuose, propre à dire l’animalité des pulsions humaines. Dans cette suite de tableaux où chaque détail immonde est plastiquement transfiguré par la lumière de Giuseppe Rotunno, il devient impossible de discerner la monstruosité de la beauté. Cette esthétique baudelairienne, cet érotisme macabre déborde de partout – dans les maquillages blafards qui dissimulent la peau flétrie des vieillards, dans les banquets orgiaques constitués de viande de charognards. Avec cette visite guidée délirante dans les ruines antiques, Fellini supplantait définitivement les codes du péplum pour greffer au genre son imaginaire subversif.

Satyricon de Federico Fellini, 2h04, Solaris Distribution, ressortie le 9 février

Images (c) Solaris Distribution