Sorti le 30 janvier 2002 aux quatre coins de la France, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre connut d’emblée un vif succès critique et public. Adaptée du brillant album de René Goscinny et Albert Uderzo (Astérix et Cléopâtre, parue en 1965), la comédie écrite, réalisée et jouée par Alain Chabat (qui s’y est donné le rôle de Jules César) atteignit à l’époque 14,5 millions d’entrées, dépassant Les Visiteurs, sorti 9 ans plus tôt, et supplantant le box-office de la première adaptation live des aventures du célèbre gaulois (Astérix et Obélix contre César, de Claude Zidi, sorti en 1999).
Surtout, le film d’Alain Chabat devient rapidement culte pour ses répliques hilarantes, son inventivité narrative et sa fidélité à l’esprit aventureux de René Goscinny. Au point que cette comédie, qui reste à ce jour le 4ème film français le plus vu de tous les temps, est aujourd’hui entrée dans la légende du cinéma hexagonal et a acquis un statut presque intimidant de statue indéboulonnable face à laquelle toutes les adaptations suivantes d’Astérix se trouvent cruellement comparées.
Quel intérêt y a-t-il alors à ressortir aujourd’hui au cinéma cette œuvre unanimement reconnue ? Alain Chabat nous explique la démarche : « Cette ressortie est à l’initiative de Jérôme Seydoux, Président de Pathé, qui souhaitait que le public (re)découvre un film entièrement restauré et remasterisé. Le travail a été fait par la Fondation Pathé et l’équipe originale du film : Laurent Dailland, directeur de la photo, Thierry Lebon, mixeur, Cyril Contejean directeur de post-production et moi-même. »
De même, quelques surprises ont été ajoutées dans cette nouvelle version 4K. Alain Chabat, qui vient aussi de réaliser une série d’animation en 5 épisodes autour d’Astérix, Le Combat des chefs (bientôt sur Netflix), nous confie ce qu’il a ressenti dans le cadre de cette restauration. « J’ai redécouvert le film que je n’avais pas vu depuis plus de 20 ans et j’ai adoré revoir les géniales performances des acteurs et actrices. »
UN CASTING PHARAONIEN
De fait, dès le début du film, la vitalité amenée par chaque interprète frappe l’attention. Durant les 13 minutes d’introduction en Egypte – avant même que l’on ne voie Astérix (Christian Clavier) et Obélix (Gérard Depardieu) – se déploient ainsi des performances drôles et flamboyantes : Monica Bellucci dans le rôle de la reine Cléopâtre (l’actrice avait triomphé l’année précédente avec Le Pacte des Loups et s’apprêtait quelques mois plus tard à bouleverser avec Irréversible), Jamel Debbouze dans le rôle de l’architecte fantasque Numérobis (déjà présent dans le carton du printemps 2001 Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, l’humoriste était alors au sommet de son art comique), Gérard Darmon (figure intimement associée à Alain Chabat, notamment après son rôle de commissaire dans La Cité de la peur) qui cabotine avec talent dans le rôle du méchant Amonbofils ou Edouard Baer qui prête son style détaché et débonnaire au personnage du scribe Otis (avec la fameuse tirade « Je ne crois pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations », en grande partie improvisée par l’acteur)…
RÉPLIQUES POLITIQUES
Autre élément qui interpelle en revoyant aujourd’hui le film : ses allusions politiques et sa réflexion sur les rapports de domination. Les séquences situées sur le chantier de construction du Palais souhaité par Cléopâtre sont ainsi émaillées de dialogues pointant l’exploitation des ouvriers.
En digne représentante du personnel, Itinéris (Isabelle Nanty) exige de « passer au 35 heures », allusion à la réforme du gouvernement de Lionel Jospin, votée en 1998 et devenue entièrement obligatoire précisément à partir du 1er janvier 2002 (soit un mois avant la sortie du film). Des revendications approuvées par Panoramix (Claude Rich) : « Itinéris a raison de ne pas se laisser faire. » Plus tôt, la réplique prononcée par Gérard Darmon. « Camarades, on vous exploite, on vous crève à la tâche » faisait songer à Arlette Laguillier, très en vue au début des années 2000 pour ses discours anticapitalistes.
Alain Chabat confirme qu’il était important pour lui d’inscrire le film dans cet environnement politique. « Les albums d’Astérix de René Goscinny et Albert Uderzo avaient déjà un discours sur la société de l’époque. Obélix et Compagnie traite du capitalisme, Astérix et le Chaudron évoque la valeur travail, Le Domaine des Dieux a une portée écologique… Tous les films que j’ai écrits et réalisés contiennent ça et là mon point de vue sur la société. Maintenant, le dernier truc dont j’ai envie c’est assommer les gens avec un discours, donc j’essaye de privilégier le spectacle avant tout. »
Avec ses clins d’œil multiples à diverses œuvres artistiques (on note pêle-mêle dans le film des hommages à Cyrano de Bergerac, Jurassic Park, L’Empire contre-attaque, Hugues Aufray,Le Radeau de la méduse, Titanic, Benny Hill, Full Metal Jacket ou Sergio Leone), Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre alliait en effet un généreux sens du spectacle à un esprit potache et ultra référencé qui fonctionne toujours merveilleusement bien en 2023.
CHEMIN D’EXCELLENCE
Le paysage de la comédie française a cependant quelque peu changé ces dernières années et Alain Chabat n’a plus réalisé de film depuis Sante & Cie, sorti en 2017. Lui qui a continué à faire l’acteur pour des comédies audacieuses aux relents fantastiques (on l’a vu deux fois chez Michel Gondry et trois fois chez Quentin Dupieux) a-t-il des conseils à donner sur le sujet ? « Disserter sur le rire est l’assurance d’être ultra chiant à mourir. J’ai zéro théorie sur ce que devrait ou ne devrait pas faire le cinéma comique. Concernant le fantastique, j’ai juste un goût pour ce genre de films (ou ces films de genre). Et la chance que des réalisateurs et des réalisatrices m’offrent des rôles intéressants et m’invitent dans leurs univers. »
Alain Chabat : « Pour Quentin Dupieux, je suis même prêt à jouer un rat »
Rien de tel donc pour se reconnecter aux esprits créatifs et revigorants d’Alain Chabat et de René Goscinny – et en attendant la série Le Combat des chefs – que d’aller savourer sur grand écran cette œuvre qui reconvoque autant l’atmosphère spirituelle de la France du début des années 2000 qu’elle dresse un chemin d’excellence pour le cinéma français comique d’aventure présent et futur.
Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat (Pathé, 1h52)
Des séances sont prévues au mk2 Bibliothèque à partir du 5 juillet au tarif de 5€. Toutes les infos ici.