« Nope » de Jordan Peele : l’horreur indicible

L’Américain continue de prendre le cinéma de genre à l’envers avec l’un des films les plus attendus de l’année.


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Les films de Jordan Peele cherchent le plus possible à se passer de mots. C’est pour ça qu’il est souvent bien difficile et dommageable de les raconter. Souvent comparé à M.Night Shyamalan (Sixième Sens, Old) dans sa volonté de faire du genre tout public, le cinéma de Jordan Peele en est en fait l’exact inverse. Là où les films de Shyamalan sont de pures expériences de scénario, basées sur les légendaires twists du cinéaste, ceux de Jordan Peele sont de pures expériences de mise en scène, des récits physiques par essence. Le fantastique chez Peele n’est pas une leçon de métaphysique, le passage d’une vérité à une autre, mais une sensation, quelque chose de l’ordre d’un dérèglement profond que ressentent dans leur chair personnages et spectateurs sans pouvoir vraiment y mettre de mots.

Nope donc. Le mot est bref, ironique et cinglant. Parfait pour définir ce nouveau conte fantastique sec et bizarre qui mettra héros, un dompteur de chevaux pour le cinéma et sa sœur (excellent Daniel Kaluuya et géniale Keke Palmer), et spectateurs face à l’impensable. Nope s’ouvre dans le noir. Des sons joyeux puis terrifiant saisissent d’entrée. Enfin l’image apparaît, glaçante, incompréhensible, inoubliable. En quelques instants, Peele pose son propos. Qu’est-ce qu’une image qu’on n’oublie pas ? A partir de ce nuage venu d’ailleurs, Peele va jouer avec les codes de la SF, son merveilleux effrayant, et nous faire ressentir physiquement le désir de voir à tout prix. Jusqu’à une scène terrifiante qui va révéler de près, trop près, l’horreur. Voir à tout prix mais à quel prix ? On s’attendait à un remake malin de Rencontre du 3ème type mais c’est plutôt du côté de Jurassic Park et sa société du spectacle qui dégénère en bain de sang que lorgne brillamment Nope.

Traversé de scènes spectaculaires, jouant avec malice sur les attentes du spectateur, le film n’est jamais tout à fait là où on l’attend et ose dans son dernier tiers un changement de perspective passionnant, mutant quasi en making-of de documentaire animalier. Comme toujours avec Peele, le film est un mélange d’ironie, de terreur et de merveilleux qui procure une sensation grisante de grand huit de cinéma. C’est seulement une fois le pied posé au sol, groggy, qu’on ressent soudain le vertige du chemin parcouru. Il y a plus de questions dans Nope qu’il n’y a de réponses et ça risque d’en agacer beaucoup. Il y a aussi des images qu’on n’oublie pas, des personnages étranges et attachants, des scènes inattendues et des virages improbables. Il y a l’expérience déroutante et réjouissante de vivre un film, entièrement mû par l’envie de nous en mettre plein les yeux.

Nope de Jordan Peele, Universal Pictures International France, sortie le 10 août

Image : (c) Universal Pictures International France