Beginners s’inspire de l’histoire de votre père, qui a fait son coming out à 75 ans, et , à la fin des années 1970. Quelle est la part d’autobiographie dans ce nouveau film ?
L’idée m’est venue de mes discussions avec mon enfant [né de sa relation avec , ndlr], et pas mal d’éléments du film me sont arrivés. Je me questionne constamment sur la capacité des adultes à écouter les enfants. J’adore être père et je préfère largement être entouré d’enfants plutôt que d’adultes. Mais c’est ce que dit aussi le film à travers la relation qui se construit entre Johnny et Jesse : c’est difficile de les comprendre. Il faut toujours négocier pour arriver à être vraiment connectés.
À voir sur mk2 curiosity : Interview avec Mike Mills à propos de « Beginners »
Par la radio, Johnny sort de sa bulle et Jesse canalise son hyperactivité. Selon vous, ce médium permet-il d’exprimer les choses plus librement ?
Non, je ne pense pas, mais, en tant que réalisateur, j’envie cet outil parce qu’il est plus simple. On n’a pas besoin de gros matériel ni d’une grosse équipe. Personnellement, j’aime tout ce qui est minimaliste. Et, quand j’écoute certaines émissions de radio, comme This American Life d’Ira Glass [une émission très populaire aux États-Unis, qui propose documentaires, interviews et pièces de théâtre, et qui a reçu le prix Pulitzer en 2020, ndlr], je retrouve cette idée. Ça implique de l’écoute, une attention aux autres, et j’avais envie de matérialiser tout ça dans un film.
Pour son émission, Johnny part recueillir la parole de jeunes confrontés à une réalité politique très difficile, entre montée du racisme, précarisation, réchauffement climatique… Ce sont de vrais témoignages ?
Pour un projet documentaire que j’ai présenté au MoMA en 2014, j’avais interviewé des jeunes de la Silicon Valley. Je leur avais demandé comment ils voyaient le futur et j’avais envie de prolonger l’exercice. Le refaire pour ce film m’a permis de sortir Johnny et Jesse de leur relation fermée, de les lâcher dans le monde réel et de leur faire voir la vie d’autres enfants. Leurs scènes n’ont pas du tout été écrites, c’est vraiment de la matière documentaire. Joaquin s’est révélé hyper bon dans l’exercice de l’interview, les enfants oubliaient qu’ils avaient le Joker [, ndlr] en face d’eux.
Quels films, qui valorisent autant des personnages d’enfants, vous ont marqué ?
Alice dans les villes de Wim Wenders. C’est le très beau portrait d’une petite fille de 10 ans. Elle peut être méchante, en colère, elle traverse tout un spectre de sentiments que d’habitude on ne s’autorise pas à montrer chez les enfants au cinéma. Elle a en partie inspiré le personnage de Jesse. Woody a fait le reste. Sans le traiter différemment d’un adulte, je lui ai donné une totale liberté. Je l’ai laissé s’emparer du rôle, improviser.
La charge mentale qui pèse sur les femmes dans la société est de plus en plus dénoncée. Y avez-vous pensé en écrivant le personnage de Viv, la mère de Jesse – incarnée par la géniale Gaby Hoffmann –, qui est toujours sous pression ?
Je me suis dit que si je parlais de ma vie de parent, je devais inclure les mères. Elles portent des poids – qu’ils soient biologique, historique, sociétal – qui pèsent très lourd. C’était essentiel pour moi d’avoir cette figure féminine forte, qui est absente mais finalement au centre du film [Viv confie son fils à son frère quand elle doit s’occuper du père de Jesse, duquel elle est séparée mais qui est tombé en dépression, ndlr].
Vous créez des passerelles entre les générations, comme dans des flash-back touchants montrant Viv et sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer – cette dernière a l’air d’une petite fille fragile, les rôles de parent et d’enfant s’inversent. Vous pensez que, quel que soit notre âge, on trimballe en nous un adulte et un enfant en même temps ?
Oui, totalement. J’ai l’impression que chaque individu qui compose une famille est fait de mélanges. On est tous façonnés par des versions plus jeunes de nous. Et, être parent, ça fait rejaillir sa propre enfance. Mon fils sent souvent quand je lui mens, ce qui m’oblige à reconnaître : « Merde, bon, t’as raison. » Il se moque de moi quand je lui lis Star Child de Claire A. Nivola, parce que je finis toujours par pleurer [non traduit en français, ce livre cité dans le film raconte l’histoire d’un enfant-étoile qui observe la Terre de loin et hésite à s’en approcher, ndlr]. Donc le pouvoir, quelque part, on l’a à tour de rôle. Et c’est très important de pouvoir bouleverser cet ordre-là.
Tous vos films sont centrés sur cette idée d’héritage que nous lèguent nos parents. Pourquoi ce thème vous est-il si cher ?
C’est une question très psychanalytique ! Je pense très souvent à mes parents, qui sont décédés. Et ce n’est pas du tout parce qu’on avait une relation idéale ; c’est peut-être parce que justement on avait une relation chaotique. Mais plus j’y pense, plus je me dis qu’ils m’ont légué des choses essentielles : une certaine facilité à m’abandonner, mais surtout leur passion pour l’art. Mon père était directeur de musée et ma mère avait un goût incroyable. J’ai gardé leurs toiles, leurs objets, j’en ai d’ailleurs placé plusieurs dans mes films. Et, au fond, c’est grâce à eux que je suis entré dans le monde de l’art [Mike Mills est également graphiste et vidéaste ; il a notamment imaginé des pochettes d’albums pour les groupes Sonic Youth ou Beastie Boys, signé des clips pour Air ou Yoko Ono, ndlr].
Dans une interview à The Film Stage, vous dites que vous passiez du Erik Satie et du sur le plateau. Ça créait quel genre d’atmosphère ?
Oui, je mets tout le temps de la musique. Je demandais parfois à un joueur de cor d’harmonie ou un violoncelliste de venir jouer quand on installait le plateau. Ça rendait tout de suite la journée magique. C’est presque spirituel. Et alors mettre en fond sonore Satie et Frank Ocean en même temps, c’est juste incroyable. C’est aussi parce que je sens des similitudes entre le noir et blanc du film et la simplicité de Satie. Chez Satie, l’espace qui s’ouvre entre chacune des notes, c’est comme une entrée dans un autre monde. Dans le film, l’image d’un adulte qui tient la main d’un enfant peut apparaître très archétypale, très ancienne, mais j’avais envie de faire cohabiter ce côté fable, mythe, cette irréalité avec le contemporain.
Nos âmes d’enfants de Mike Mills, (Metropolitan FilmExport, 1 h 48) sortie le 26 janvier
Images (c) Metropolitan FilmExport