« Menus plaisirs – Les Troisgros » de Frederick Wiseman : luxe, caméra et volupté

La méthode Wiseman est toujours aussi efficace. À 93 ans, l’infatigable documentariste américain a présenté hors-compétition un gros morceau de quatre heures, qui nous immisce dans la prestigieuse cuisine du grand chef français Michel Troisgros.


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À l’hôtel-restaurant des Troisgros, dans la Loire, l’eau est micro filtrée directement, il n’est pas incroyable de payer 5000€ une bouteille de vin, ni de passer un mois entier à travailler une sauce avant d’enfin la mettre au menu. Cette maison familiale, qui a aujourd’hui plus de 90 ans ans et a obtenu trois étoiles au Guide Michelin, est tenu par Michel Troisgros et sa famille (son épouse, sa fille et ses deux fils – ces deux derniers ayant suivi ses pas).

Au départ, on était un peu étonné que Wiseman, grand spécialiste des institutions américaines, mette son nez et sa caméra dans une cuisine. Sauf qu’il s’agit là aussi d’une institution, avec ses codes, ses réglementations, son microsystème. Elle prend vie dans une grande cuisine ultramoderne et rectangulaire – forme qui permet une meilleure circulation et communication entre chefs, responsable de salle, commis…

C’est un tout nouveau monde – celui de l’excellence – auquel s’intéresse Wiseman, mais sa redoutable méthode n’a pas changé : la caméra est fixe ; les plans longs. Lui se fait tout petit et grapille tout : les gestes pleins de minutie, la pression qui pèse sur les épaules, l’élaboration appliquée des menus – à la fois ultra sophistiqués et bien franchouillards (donc pas très vegan friendly). Du producteur à l’assiette du client : toute la chaîne alimentaire est passée au crible de la caméra de Wiseman.

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Si on s’interroge sur le peu de présence féminine dans le film (peut-être dû à la persistance d’une misogynie dans le milieu) et qu’on est un peu rebuté par l’aspect classiste d’aussi grands restaurants, ce qui est surtout passionnant, c’est la manière dont le cinéaste libère la cuisine d’une forme de hachage télévisuel – on pense aux émissions type « TopChef » ; ou à la série à succès The Bear, qui misent sur une tension et des cuts permanents.  Au-delà de l’évident plaisir visuel qu’il procure (qui n’aime pas voir des plats bien dressés ?), le film fait l’effet d’une odyssée intime et transgénérationnelle intense, presque romanesque.

Menus-Plaisirs. Les Troisgros de Frederick Wiseman, Météore Films (3 h 58), sortie le 20 décembre