Master-class Abdellatif Kechiche au Cinemed : le récap

Après trois ans de silence, le réalisateur s’est confié, lors d’une masterclass au Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, sur son travail fusionnel avec les acteurs et l’avancée de sa saga « Mektoub my love. »


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Abdellatif Kechiche connaît bien le Midi, sa lumière irradiante et son littoral dionysiaque. Il a tourné, à Sète, La Graine et le Mulet (2007), Mektoub, my love : canto uno (2017) et Mektoub, my love : intermezzo, montré à Cannes en mai 2019 sous le feu de la controverse. Conflit avec la production, coût exorbitant de la BO, probable interdiction aux moins de 18 ans notamment en raison d’une séquence de cunnilingus de 13 minutes : le film s’est depuis perdu dans les limbes de l’oubli pour des raisons encore obscures – marquant la dernière intervention publique du réalisateur jusqu’à aujourd’hui, lors d’une conférence de presse houleuse.  

« Mektoub My Love » d’Abdellatif Kechiche : l’amour à la plage

A Montpellier, où le festival de cinéma méditerranéen lui consacrait une rétrospective du 21 au 29 octobre, Kechiche n’avance ni en terre inconnue, ni en terre conquise. Si sa masterclass affiche complet, une cinquantaine de militantes féministes ont assisté à l’événement, portant des slogans (« Kechiche sexiste », « Devant Kechiche, on se lève on se casse ») qui rappellent la plainte pour agression sexuelle, classée sans suite, dont le réalisateur a été l’objet en 2018.  

Entre hostilité et engouement, la table ronde commence en retard, dans un climat tendu. Mais sur un aveu étonnamment personnel, de la part de celui qui semble vouloir se soustraire aux regards du monde derrière ses lunettes noires. « Même si je ne souhaitais plus parler en public, j’ai ressenti le devoir de venir le faire ici ». C’est que cette région lui a toujours procuré un sentiment de plénitude, et de gratitude envers ceux qui l’ont soutenu. Très vite, la question tombe : verra-t-on un jour le sulfureux Mektoub, my love : intermezzo ?   

CANNES : « Mektoub My Love : Intermezzo », Abdellatif Kechiche en transe

Esquive de la part du réalisateur, qui préfère évoquer sa fascination pour la danse, les corps en mouvements, destinés à immerger les spectateurs dans un état de transe qui confine à une métaphysique des sens. Il finira tout de même par avouer travailler inlassablement sur la suite de Mektoub My LoveCanto Due et Canto Tre : « Ils sont filmés, ils sont au montage, au remontage. J’y passe mon temps, depuis toutes ces années. Je n’ai fait pratiquement que ça : monter, remonter, essayer… J’espère bientôt la fin de Mektoub… »  

Lorsqu’une militante féministe s’invite sur scène pour évoquer ses méthodes de travail, jugées abusives par Léa Seydoux, que Kechiche a dirigé sur La Vie d’Adèle (2013), le réalisateur accepte calmement l’altercation : « Peut-être qu’il y a quelque chose, dans le rapport humain, qui est de l’ordre de la classe sociale, c’est ce que je raconte dans le film. Je ne suis pas de la même classe sociale que Léa Seydoux. Peut-être que cette rencontre entre deux classes sociales qui ne se croisent jamais ne s’est pas faite ».   

SCÈNE CULTE — « L’Esquive » d’Abdellatif Kechiche

Chez Kechiche, les acteurs sont le nerf de la guerre. Il aime rappeler qu’il a permis à des actrices inconnues comme Sara Forestier, Hafsia Herzi ou encore Sabrina Ouazani de s’affirmer, en creusant leurs failles : « Demander à un acteur ou à une actrice de perdre sa personnalité, de trouver ce moment où tout nous échappe, où on se met à nu, où ils se libèrent d’eux-mêmes, pour devenir le personnage et aller vers quelque chose de très profond. C’est l’instant magique que j’attends à chaque fois. » Une méthode d’épuisement excessive ? Le réalisateur s’en défend en invoquant le monde extérieur, celui où se jouerait la vraie violence des rapports de force : « De quoi parle-t-on ? Ce n’est pas les souffrances qu’on rencontre sur les chantiers. »   

Kechiche a confié que le troisième volet de Mektoub était un aveu ultime, son film le plus personnel, mais qu’en attendant de le faire découvrir, il écrivait des scénarios. On n’en saura pas davantage – le réalisateur cultive le goût du mystère et de l’ellipse, et sa sortie du silence laissera derrière elle davantage de questions que de réponses.